Ouverte fin 2024, la Galerie Liberté est la première galerie au Luxembourg dédiée au design en auto-édition. Elle expose des pièces uniques, parfois en édition limitée, imaginées par des designers internationaux et locaux. Située à deux pas de la Place de Paris, à Luxembourg-Ville, elle met à l’honneur des créations mêlant artisanat et innovation. Sa fondatrice et directrice, la Luxembourgeoise Françoise Kuth, entend rendre le design plus accessible grâce à un espace « boutique » adjacent, proposant des pièces à des prix plus abordables.
ELLE Luxembourg s’est rendue dans le quartier de la Gare, sur cette rue emblématique qui a donné son nom à la galerie : l’Avenue de la Liberté, au numéro 21.
Vous avez ouvert la toute première galerie de design au Luxembourg. Qu’est-ce qui vous a inspiré à commencer cette aventure?
Françoise Kuth (F.K.) : Pour être tout à fait honnête, l’histoire a commencé de manière assez banale. Il y a quelques années, je cherchais des objets particuliers pour ma maison, des luminaires, mais je ne trouvais rien qui me plaisait. Et puis, un peu par hasard, j’ai voyagé à New York, chez mon ami Umberto Bellardi Ricci, un designer que je représente d’ailleurs dans ma galerie. Là-bas, j’ai visité son showroom à Brooklyn, et j’ai été complètement émerveillée par son travail. J’ai acheté deux appliques, et ces pièces, je les adore toujours aujourd’hui.

©Patty Neu I Galerie Liberté
C’est donc une histoire personnelle qui vous a poussée à entrer dans le monde du design. Comment a-t-elle évolué à partir de là ?
F.K. : Oui, exactement. Au cours de mon séjour à New York, Umberto m’a fait découvrir son univers et m’a présentée à d’autres créateurs. C’est ainsi que j’ai commencé à m’intéresser au design contemporain, en particulier à l’auto-édition, qui est un domaine que j’ai vraiment exploré. Ce fut une vraie révélation. Puis, au fur et à mesure de mes voyages, je me suis intéressée à d’autres designers et à des galeries. Finalement, j’ai pris la décision de fonder ma propre galerie en 2018, après plusieurs années de réflexion et d’exploration.

„Je crois profondément en l’avenir du design au Luxembourg“
Pensez-vous que le Luxembourg était prêt pour une telle galerie ?
F.K. : Je n’ai pas vraiment réfléchi à savoir si c’était le “bon moment” pour ouvrir une galerie, mais plutôt si c’était le bon moment pour moi personnellement. J’ai réalisé qu’il manquait au Luxembourg un espace dédié au design en auto-édition, à la croisée entre galerie et showroom, où des pièces uniques ou en petite série sont directement conçues ou produites par les designers eux-mêmes. Ce projet répond à une envie personnelle, mais aussi à un besoin collectif, dans un pays où l’intérêt pour l’art et les objets d’exception est bien présent. Et ce qui est certain, c’est que je crois profondément en l’avenir du design au Luxembourg. Le marché est encore jeune, mais il est prometteur. Il y a une demande croissante pour des objets de design de qualité, et je suis convaincue que la galerie a un rôle important à jouer dans cette évolution.
Vous parlez d’auto-édition : pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie, en comparaison avec des objets plus commerciaux ?
F.K. : L’auto-édition est au design ce que la haute couture est à la mode.. Ce sont des créateurs qui réalisent des pièces uniques, faites à la main, parfois en collaboration avec des artisans, et parfois en édition limitée. C’est une démarche de création pure, sans intermédiaire. En revanche, ce n’est pas du vintage. Le vintage, c’est du design d’époque, tandis que l’auto-édition, ce sont des pièces modernes. Ce domaine des classiques vintage est d’ailleurs parfaitement représenté au Luxembourg par Michèle Rob.
Comment avez-vous trouvé l’emplacement idéal pour votre galerie ? Le quartier a-t-il joué un rôle dans votre choix ?
F.K. : Le quartier, pour moi, était crucial. Je voulais un endroit qui puisse à la fois attirer les gens et donner une certaine visibilité au projet. L’avenue de la Liberté au Gare est très centrale – il y a eu de belles rénovations récemment. C’est un endroit où l’on peut vraiment valoriser l’art et le design.
Et puis, la présence de galeries comme la vôtre, avec une offre complémentaire, renforce l’attractivité de la zone.
F.K. : Je l’espère. Nous sommes ici sur les Champs-Élysées de Luxembourg, et pourtant le quartier garde quelque chose d’authentique. Les grandes vitrines de ma galerie sont faites pour inviter à entrer – j’aimerais d’ailleurs que davantage de gens osent pousser la porte.
La galerie se veut alors accessible à tous. Comment conciliez-vous cette volonté avec l’offre de pièces de design haut de gamme ?
F.K. : C’est une question importante. J’ai voulu créer un espace où les gens puissent non seulement acheter des pièces très exclusives, mais aussi découvrir le monde du design. C’est pour cela que je fais une distinction entre l’espace galerie et l’espace shop. En boutique, il y a des objets plus accessibles, des pièces qui permettent à tout le monde de commencer une collection. Le but n’est pas d’exclure, mais de rendre le design contemporain plus accessible, tout en gardant une certaine exclusivité pour les pièces plus haut de gamme.
„Ce qui est important pour moi, c’est de pouvoir offrir quelque chose d’unique et d’intéressant.“
Comment choisissez-vous les designers ?
F.K. : La sélection des designers est avant tout une question de qualité et d’authenticité. Ce qui m’importe, c’est de pouvoir offrir quelque chose d’unique et d’intéressant. Je m’intéresse à des créateurs qui sont déjà bien établis dans le milieu, mais également à des jeunes talents. L’idée est de trouver des designers dont l’univers me touche et qui partagent une démarche de création véritable. La nationalité n’est pas un critère déterminant, mais, bien sûr, j’ai aussi le plaisir de collaborer avec quelques créateurs luxembourgeois, tels qu’Umberto Bellardi Ricci ou Christophe de La Fontaine, un designer luxembourgeois reconnu à l’international.qui Je lui consacre d’ailleurs une exposition au mois d’octobre.

©Patty Neu I Galerie Liberté
Vous faisiez alors aussi des recherches pour découvrir de nouveaux talents. Pouvez-vous nous parler un peu de votre processus de recherche d’inspiration ?
F.K. : La recherche d’inspiration est une partie essentielle de mon travail. Je consacre beaucoup de temps à découvrir de nouveaux designers pour la galerie, ainsi que des créateurs pour la partie ’boutique’ — que ce soit à travers des magazines, des salons de design ou même sur des plateformes comme Pinterest. Mais ce sont aussi mes voyages, qu’ils soient professionnels ou personnels, qui me permettent souvent de repérer de nouveaux talents. C’est un processus continu et une véritable passion pour moi.
À propos des salons, allez-vous aussi au Salone del Mobile à Milan ou au salon Maison & Objet à Paris?
F.K. : Certainement, environ 80 % des choses sont intéressantes mais sans plus. Mais parfois, il y a de vrais coups de cœur, de belles surprises. Je suis seule à gérer la galerie, donc je me concentre entièrement sur les expositions et la communication . Cela me prend énormément de temps. Je travaille en permanence, donc je ne me déplace pas beaucoup en ce moment. Mais c’est sûr que les salons restent des lieux intéressants pour découvrir des nouveautés — et ce sont surtout des endroits importants pour le réseautage !
Et comment abordez-vous le sujet de la communication, notamment pour faire connaître votre galerie?
F.K. : La communication est fondamentale dans ce milieu. Les designers actuels, surtout ceux que je souhaite exposer, ont une communication impressionnante. On les voit partout, dans les magazines, dans les galeries. Il y a des designers que j’appelle des “designers de galerie”, ceux que l’on voit beaucoup plus dans ce microcosme que dans les magasins. Et puis, il y a ceux qui ont une présence plus large, comme le Français Axel Chayqui vient juste de terminer son exposition ici fin avril. Son travail est bien plus visible, presque partout.

„À chaque fois quelque chose de complètement différent“
Une belle visibilité nécessite aussi de faire appel en permanence à des designers variés et inspirants?
F.K. : Le but est notamment d’avoir à chaque fois quelque chose de complètement différent. Par exemple, cette dernière exposition de Axel Chay avec beaucoup de couleur, la précédente était plus orientée sur le métal, plus froid. Mais maintenant, avec le groupe Rooms Studio, on va peut-être aller vers quelque chose de plus austère, plus artistique. Ensuite, on a Christophe de La Fontaine (Dante Goods and Bads), avec un univers totalement différent.
Vous avez déjà d’autres projets en tête pour l’avenir ?
F.K. : Oui, bien sûr ! Je suis déjà en train de planifier d’autres expositions, mais je ne vais pas en parler pour l’instant. Mais la prochaine exposition, avec Rooms Studio, qui a débuté le 15 mai et perdurera jusqu’au 15 août, est géniale. Les deux artistes, Nata Janberidze and Keti Toloraia, sont originaires de Géorgie et sont déjà bien établies dans le monde des galeries. Elles étaient aussi présentes au Salone del Mobilé avec une exposition vraiment particulière..
Comment se situe leur travail par rapport aux autres designers que vous représentez ?
F.K. : Elles s’inspirent beaucoup de leur culture géorgienne, de leur folklore, avec des contes et des légendes. Nata et Keti sont aussi architectes d’intérieur très connus en Géorgie. Leur travail est vraiment singulier, un peu plus austère et parfois sombre, mais aussi plein de fantaisie. Elles créent des pièces en lien avec leur univers culturel, et elles sont très respectées dans le milieu.

©Patty Neu I Galerie Liberté
Est-ce que vous avez un designer préféré ou une pièce emblématique qui vous tient particulièrement à cœur?
F.K. : Il y a énormément de pièces qui m’ont impressionnée, mais si je devais en choisir une, ce serait sans doute le design du Bauhaus. Sans ce mouvement, sans cette école, je me demande où en serait le design aujourd’hui. En ce moment, je suis particulièrement fan du travail des artistes luxembourgeois Martine Feipel et Jean Bechameil, notamment en matière d’éclairage. J’ai d’ailleurs acheté une lampe d’Umberto Bellardi Ricci, qui accompagne parfaitement une œuvre d’art que je possède d’eux, un vrai coup de cœur. Pour moi, la lumière est également essentielle dans un espace.
Où vous voyez-vous dans quelques années ?
F.K. : Je veux continuer à organiser des expositions, à peu près trois par an. Je souhaite aussi améliorer le côté “boutique”, le séparer un peu plus de l’espace d’exposition pour éviter toute confusion. À long terme, je pense qu’il est important de développer l’aspect international et de participer à des événements mondiaux, comme les Art Weeks. Cela permettrait de renforcer la notoriété de mes designers et de les exposer davantage à un public international.
Galerie Liberté, 21, avenue de la Liberté, Luxembourg-Ville
Heures d’ouverture : mercredi – samedi, 10h00 – 18h00. Fermé le lundi, mardi sur rendez-vous.
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