Amplifiée par les réseaux sociaux, la dermorexie cette obsession d’une peau plus que parfaite se traduit par une intolérance à tout petit défaut cutané, des routines à rallonge et l’emploi immodéré d’outils divers et variés. Ça vous parle ?
On parle de dermorexie quand la quête d’une peau sans défaut devient une compulsion, allant jusqu’à gâcher le quotidien. La beauté, alors, n’est plus synonyme de soin, de plaisir ou de légèreté, mais se transforme en mission impossible. Parmi les signes qui doivent alerter : passer plus d’une heure par jour à s’occuper exclusivement de sa peau, utiliser plus de dix produits cosmétiques différents pour le visage matin et soir, et, bien sûr, se regarder constamment dans le miroir grossissant pour traquer les imperfections… Si cela reste gérable pour certaines, chez d’autres, ce trouble du comportement peut à terme avoir des conséquences sur la santé mentale, générant des auto-évaluations négatives, des états anxieux, une dégradation de l’estime de soi, et, au passage, une altération de la barrière cutanée à force de traitements excessifs répétés.
Toutes obsessionnelles ?
« Aujourd’hui, de plus en plus de patientes sont obnubilées par le moindre défaut, comme des pores dilatés », observe la dermatologue Caroline Pouget, de la clinique Renécia. Les plus jeunes, sous l’influence des réseaux sociaux, transforment volontiers leur salle de bains en labo cosmétique et suivent assidûment les recommandations de « skin influenceurs » qui testent en boucle de nouvelles gammes de produits supposés être toujours plus performants. « Les beautystas les plus pointues s’inspirent des conseils de facialistes réputés, à l’image d’Iván Pol (@thebeautysandwich), célèbre pour ses mises en beauté de stars comme Emma Stone, Penélope Cruz ou Sabrina Carpenter, qui sont ses clientes. Certaines routines cumulent ainsi une série impressionnante de produits, avec, à la clé, des actifs puissants et de multiples couches d’essences, de sérums, de crèmes hydratantes et de filtres solaires appliqués en layering – cette pratique venue d’Asie qui consiste à superposer sur la peau de nombreux produits matin et soir.
« Pour parachever le tout, les algorithmes des réseaux sociaux se chargent de marteler en boucle les messages, qui finissent par résonner comme autant d’injonctions, pointe Alba Maione, experte en stratégie marketing pour des marques. Certains peuvent développer une véritable dépendance aux cosmétiques, jusqu’à ressentir de la culpabilité si d’aventure, ils ne suivent pas les consignes à la lettre ».
Ça commence tôt !
Si vous n’avez pas, comme Florence Foresti, d’ado qui squatte la salle de bains pour parfaire sa routine skincare (voir le sketch « Les Parents d’ados » dans le spectacle Boys Boys Boys), le documentaire de la collection Arte Regards : La Fièvre du maquillage vous éclairera sur cette génération alpha parmi laquelle certaines jeunes filles sont obsédées par leur peau dès l’âge de 10 ou 11 ans. On les appelle les « Sephora kids ». Ce sont des perfectionnistes qui manient le pinceau et le contouring comme personne, et traquent le moindre bouton d’acné avant même d’avoir assisté à l’apparition des premiers signes de la puberté.
Des gammes entières de produits leur sont dédiées. Ce qui ne les empêche pas de recourir à des actifs anti-âge qui ne sont absolument pas du leur. « C’est une hérésie ! estime la Dr Pouget. L’âge de la maturité cutanée, c’est après la puberté, vers 20 ans, et encore. Ce que risquent ces jeunes filles ? D’abord de sensibiliser leur peau à des actifs dont elles auront besoin plus tard, et alors elles ne les supporteront plus, ce qui est dommage. Et puis surtout, à terme, elles peuvent développer une véritable dysmorphophobie, ce qui évidemment est encore plus dommageable ».
Le layering : pour ou contre ?
« Depuis que la K-Beauty d’inspiration coréenne s’est imposée comme une référence dans le domaine des soins, les tendances se succèdent à un rythme effréné, notamment sur TikTok : glowy skin, skin flooding, glass skin… prévoyant, à chaque fois, une série d’au moins dix produits à appliquer. « En Corée, où la qualité de peau est considérée comme un signe de réussite sociale, le choix d’une routine relève d’une véritable obsession, note Alba Maione. Mais, là-bas, les soins appliqués en layering sont encadrés et prescrits par des dermatologues qui sont facilement accessibles et suivent leurs patients de très près. Leur philosophie du soin privilégie par ailleurs la protection et la préservation de la peau. Le rétinol, par exemple, y est délaissé au profit de la vitamine C, jugée moins irritante. Et la protection solaire y est considérée comme capitale… ».
« Ce qui n’est évidemment pas le cas aux États-Unis ou en Europe, où les jeunes achètent tout et n’importe quoi et l’appliquent sans aucune des précautions qui s’imposent », confirme la Dr Pouget. Résultat : des irritations, des eczémas de contact et des déséquilibres cutanés qui ne font que relancer la quête de perfection…
Laisser la peau respirer : un luxe oublié ?
Dans cette course effrénée à la perfection, on en oublierait presque que la peau est un organe vivant. L’abus de face taping (ces bandes adhésives antirides qu’on pose sur le visage), de masques occlusifs et de produits en couches successives étouffe l’épiderme, l’empêchant de se régénérer naturellement. « C’est un organe réactif qui reflète notre état intérieur et répond à notre niveau de stress, à notre environnement, à notre alimentation et à notre rythme de vie », rappelle la Dr Pouget.
« Ne pas le laisser s’exprimer, c’est le priver de son rôle protecteur. Si, par exemple, on s’acharne à éradiquer le moindre bouton lié au cycle menstruel, la peau compense en produisant plus de sébum, elle devient moins confortable et son microbiome se déséquilibre, avec au final des réactions paradoxales. Il faut trouver un équilibre en pratiquant bien sûr un entretien régulier, mais en acceptant qu’il y ait des variations dans son apparence ».
Quand la peau dit stop
Rougeurs persistantes, poussées de boutons… ce qui s’apparente à un burn-out cutané est souvent le premier signal d’alarme : « Je reçois régulièrement des patientes à la peau rouge tomate qui n’ont plus d’autre choix que de consulter », témoigne la Dr Pouget. La solution ? « Le skin fasting, qui consiste à laisser reposer la peau pendant un à trois mois, en n’utilisant que des soins basiques : un nettoyant doux et une crème hydratante haute tolérance. Si on souffre d’acné cosmétique et de microkystes dus à l’application de produits trop riches et occlusifs, un nettoyage dermatologique et une routine incluant des sérums à base de niacinamide et des crèmes non comédogènes peuvent aussi aider à rétablir l’équilibre ».
On allège !
« Une fois les pathologies traitées, on peut continuer à réparer son épiderme avec des sérums à base de céramides et de squalane, deux agents riches en lipides, restaurateurs de la barrière cutanée. Mais c’est tout », tranche la dermatologue. Une diète pas toujours facile à avaler pour ces accros de la desquamation.
Pour celles dont l’âge le permet et qui souhaitent à tout prix réintroduire ensuite des actifs comme le rétinol, il est conseillé d’adopter une attitude prudente consistant à augmenter les doses au fur et à mesure, avec une application un jour sur deux et un dosage croissant progressivement, compris entre 0,025 % et 0,1 % pour le rétinol. « Le tout est d’alterner plutôt que de combiner, comme c’est la tendance aux États-Unis », suggère la dermatologue. On peut faire, par exemple, rétinol un soir, acide exfoliant (AHA et BHA) le lendemain. « Ou de la vitamine C le matin et des acides de fruits le soir. Même chose dans le traitement de l’acné : on alterne peroxydes et rétinoïdes ».
Test : Êtes-vous sur la pente ?
Où s’arrête l’amour des cosmétiques et où commence l’obsession ? Voilà quelques signaux qui peuvent alerter.
-
J’ai déjà annulé des sorties ou des événements à cause de l’état de ma peau…
a) Jamais
b) Une ou deux fois
c) Cela m’arrive régulièrement -
J’ai déjà parlé de ma peau à mon psy…
a) Non, jamais
b) Oui, une fois
c) Oui, régulièrement -
J’ai déjà eu des réactions cutanées à cause de produits…
a) Non, jamais
b) Oui, mais ce n’était qu’une réaction allergique…
c) Oui, souvent -
Si on vous dit « bakuchiol » ?
a) « Baku » quoi ?
b) Encore un nouvel actif miracle ?
c) Bien sûr, c’est un pilier de ma routine, on n’en utilise jamais assez !
Résultats :
-
Majorité de a : Vous êtes la sérénité incarnée. Votre relation à votre peau semble équilibrée et saine. Bravo !
-
Majorité de b : Soyez vigilante. Ne laissez pas la passion pour les cosmétiques se transformer en obsession et réservez votre routine skincare sophistiquée à un seul jour de la semaine, pour laisser votre peau respirer le reste du temps.
-
Majorité de c : L’obsession vous guette. Tentez de prendre du recul avec les réseaux sociaux, dont les fausses promesses peuvent déformer la perception de la réalité, et faites une pause dans vos routines. Pourquoi ne pas essayer de pratiquer un peu de yoga du visage, idéal pour un bien-être intérieur, qui, à terme, se reflétera sur la peau ?
À lire également
Simone Rocha : “Faire des vêtements, c’est avant tout une façon de me connecter aux autres”