20 ans, l’âge de la fougue et de la maturité réunies. Et un anniversaire pas comme les autres pour la maison fondée par Valérie Messika, dont elle assure la direction artistique.
Une célébration qui s’annonce détonante et marquée par la couleur. Pour la toute première fois, la joaillère s’ouvre à d’autres pierres précieuses que le diamant et honore son héritage tout en bouleversant ses propres codes dans une collection de haute joaillerie en édition limitée inspirée par son expérience de l’Afrique australe. Une rétrospective joyeuse autour de modèles iconiques. Cerise sur le gâteau, l’admission de la maison au Comité Colbert en début d’année, une institution qui rassemble les plus prestigieuses maisons de luxe et entités culturelles françaises.
« Je m’estime assez gâtée »
Quatre ans après avoir ouvert sa boutique en plein cœur de Luxembourg ville, Valérie Messika partage avec nous sa vision de créatrice, de dirigeante et de femme profondément libre. « Mon rapport au diamant est organique, ancré dans l’enfance au travers de mon père qui était diamantaire. J’ai eu la liberté de manipuler le diamant très tôt et de le toucher sans contrainte ». Cette accessibilité a ensuite été traduite, d’abord de façon instinctive et empirique, dans des créations minimalistes et contemporaines où l’or et la fantaisie se sont invités au fil des années. « La liberté du diamant de bouger au sein de mes motifs fait écho à ma propre liberté de faire entendre une voix, d’agir, de faire des choses comme je le souhaite. Je savoure de le faire dans une maison familiale et indépendante, devenue un acteur dans une industrie très traditionnelle », insiste Valérie Messika. Une industrie, il est vrai, dominée par des hommes. « Je m’estime assez gâtée, et avoir été une femme a été un atout dans mon jeu de cartes plus qu’une faiblesse, car ce monde était très masculin ». La seule femme jusqu’alors était Victoire de Castellane chez Dior et le marché semblait attendre une part de féminité dans une industrie pourtant essentiellement portée par des femmes. « Quand on est une femme qui porte soi-même des bijoux, on sort de l’exercice de la sculpture, c’est un exercice plus personnel, plus intime. On a ensuite vu apparaître d’autres CEO femmes, comme chez Boucheron avec Hélène Poulit-Duquesne, et je suis assez fière de faire partie des toutes premières et aussi une des rares, avec Caroline Scheufele chez Chopard, à être propriétaire de mon entreprise ».
J’ai eu la liberté de manipuler le diamant très tôt et de le toucher sans contrainte.
Une entreprise qui compte désormais plus de 600 collaborateurs à travers le monde, dont environ la moitié à son siège parisien. Valérie Messika assume une vision du management basée sur l’écoute et la prise en compte de chacun, mais confesse qu’il est difficile dans sa croissance de développer ses équipes tout en transmettant ses valeurs à chaque échelon. « Trouver le bon dosage est un vrai sujet. Je pense y arriver et échouer en même temps. Cette énergie transpirait dans tous nos services lorsque nous étions plus petits, mais maintenant que nous avons grossi, il est plus complexe d’onboarder des collaborateurs avec les vraies valeurs de la maison ». Sa stratégie : s’entourer d’experts avec une grande sensibilité qui ne sont pas là pour reproduire des modèles, mais pour s’adapter au sien. À l’image de son nouveau CEO pour les États-Unis, Alain Bernard. « Il a compris que ce qui m’intéressait chez lui c’était certes son expertise dans l’industrie, mais pas reproduire les codes d’un Richemont. C’était d’adhérer à notre philosophie, à notre mouvement ».
© Nicolas Gerardin
Le goût de l’audace
« Ma première décision stratégique, moi qui ai commencé ma carrière dans un business avec un modèle basé sur une distribution multimarques, a été d’ouvrir ma première boutique, il y a onze ans ». Une boutique localisée rue Saint Honoré à Paris, traditionnellement marquée par la mode et non la joaillerie comme la rue de la Paix ou la place Vendôme. Une innovation qui a donné le ton, avec d’autres belles maisons qui lui ont emboîté le pas. « J’aime ce pas de côté, faire des choses auxquelles les gens n’ont pas forcément l’habitude d’être confrontés ».
Un autre pari a été de se lancer dans la haute joaillerie. « Je me suis sentie assez mature de m’essayer à cet exercice, mais j’étais intimidée, je ne savais pas si je pouvais y prétendre. Il fallait que j’ai le courage et j’y suis allée en me disant que je n’avais pas grand-chose à perdre ». Il a certes pris quelques années, mais le succès est au rendez-vous. « Je vous avoue que je ne m’y attendais pas. C’est devenu une part non négligeable de notre chiffre d’affaires ». Ses collections de haute joaillerie sont désormais aussi attendues que le défilé qui les dévoile et qui s’inscrit dans le calendrier de la mode parisienne.
L’indépendance est le moteur de ma créativité
Encore une audace de la créatrice qui, pour célébrer sa collaboration avec Kate Moss après le Covid en 2022, a décidé de se passer des soirées VIP et des vitrines pour organiser son propre défilé. « Nous nous sommes inspirés de l’univers de Kate et l’avons organisé dans les jardins du Ritz. Ça a été un énorme succès. Les gens ont compris le message, la sensualité des portés, le style, l’allure ».
Une audace que Valérie Messika observe également chez ses clients, femmes et hommes, de plus en plus jeunes, qui osent porter des bijoux sur diverses parties de leur corps. « Je trouve qu’aujourd’hui les gens sont plus audacieux, ils se laissent surprendre. J’ai été une des premières à faire des ear cuffs, ces boucles d’oreilles qui remontent sur le lobe et sont asymétriques, qui portent mon message disruptif. Mes clientes osent plus qu’on ne le suppose, et j’ai fait des bijoux de lèvres pour des défilés qui se sont vendus immédiatement, à la grande surprise de mes équipes marketing ».
Une bonne nouvelle quand on aime créer et lancer des tendances. « Nous répondons aussi aux demandes, et c’est ainsi que s’est ouverte notre boutique luxembourgeoise. Elle est d’ailleurs merveilleusement bien placée. Le pays est certes petit, mais il est prescripteur et c’est pour nous une belle façon de positionner notre marque auprès d’une clientèle haut de gamme ».
La femme, source créative, au centre de tout
Opérant dans une industrie qui fait face à de nombreux défis en matière de traçabilité, la maison Messika a par ailleurs créé un service RSE il y a trois ans, avec une équipe dédiée. « C’est un travail perpétuel. Qui dit RSE dit traçabilité des diamants et sourcing responsable de l’or. Aujourd’hui nous utilisons exclusivement de l’or recyclé, mais notre ambition va plus loin : nous voulons nous adosser davantage à des filières certifiées et des mines traçables et responsables de bout en bout ».
En lançant ma fondation, j’ai souhaité m’engager plus loin et agir plus concrètement
Un enjeu pris très au sérieux par les collaborateurs, et de plus en plus par les clientes. Mère de deux filles et entourée par 70% de femmes au sein de sa société, Valérie Messika a fait de la place de la femme le centre de sa réflexion sur son impact et a créé une fondation qui leur est dédiée. « Leur indépendance est le moteur de ma créativité. En tant qu’entrepreneure, en tant que maman, je sais combien cette place n’est jamais totalement acquise. Les déterminismes sont encore forts et les préjugés malheureusement nombreux. En lançant ma fondation (ndlr : Fondation Valérie Messika), j’ai souhaité m’engager plus loin et agir plus concrètement. En aidant sur le terrain les femmes les plus démunies, en plaçant l’éducation des jeunes filles comme facteur clé d’émancipation, nous aidons à construire une société plus juste ».
Une fondation créée en 2021, que Valérie Messika entend développer encore plus qu’avant, en recrutant bientôt une personne dédiée et en y consacrant plus de son temps personnel. « C’est mon projet phare, je voudrais vraiment passer plus de temps sur ma fondation dans les années à venir. Je voudrais qu’elle passe à la vitesse supérieure ».
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