Souvent stéréotypé, mais encore largement méconnu, l’autisme reste un trouble mystérieux pour une grande partie de la population et de la médecine au Luxembourg. Pourtant, de plus en plus de personnes semblent être concernées à en croire les chiffres. Un constat qui fait réfléchir à l’inclusion de ces personnes dans la société, mais aussi à leur prise en charge et à leur accompagnement au quotidien.

Joanne, Joël, Alexandra, Jana, Annalisa… Tous ont accepté de témoigner de leur parcours face à l’autisme pour ELLE Luxembourg, un trouble souvent réduit dans le langage courant à une personne en retrait et stéréotypé par des films comme Rain Man, qui n’en donne qu’une vision partielle. « L’autisme touche le développement normal du cerveau dans les domaines des interactions sociales et de la communication.

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Pour moi, l’accessibilité ne doit pas être optionnelle, Jana Degrott, entrepreneure sociale dont le frère est autiste et fondatrice de Real Impact Hub

Mais il y a de multiples formes d’autisme au sein de ce qu’on appelle le trouble du spectre autistique (TSA), avec ou sans déficit intellectuel associé. Chaque personne présente des signes, attitudes ou hypersensibilités différents, ce qui rend le diagnostic complexe : deux individus avec le même diagnostic peuvent nécessiter des approches totalement différentes », explique Patrick Simon, de la Fondation Autisme Luxembourg (FAL).

Cinq ans d’attente avant d’avoir un diagnostic

Créée en 1996, la FAL est la seule structure du pays à poser officiellement un diagnostic d’autisme, avec le Centre Hospitalier de Luxembourg (CHL), qui le fait uniquement pour les enfants de moins de 6 ans. « Le diagnostic, établi par une équipe pluridisciplinaire après plusieurs rendez-vous et tests, doit être validé par un médecin pour être officiel. Faute de moyens humains, le délai d’attente est actuellement de cinq ans : l’an dernier, 124 diagnostics ont été posés pour plus de 400 demandes ». Présidente de l’ASBL 3AL Autism Awareness Association Luxembourg, Annalisa Destefanis accompagne des familles concernées, récemment arrivées au Luxembourg, dans leur parcours autour de l’autisme. Elle reçoit « deux à trois » appels par semaine et oriente souvent ces familles vers la Belgique, l’Espagne, l’Angleterre ou les Pays-Bas, où les diagnostics sont plus rapides. Car cinq ans d’attente, c’est très long quand on sait qu’un diagnostic peut tout changer : comprendre ce qui se passe chez son enfant, mettre un nom sur ce sentiment de différence et d’inadaptation, mais aussi bénéficier de prises en charge scolaires, thérapeutiques, et même financières — bien que souvent insuffisantes.

Thérapie comportementale, naturopathie : à chacun sa façon d’agir

Adapter le quotidien, le plus tôt possible, devient alors essentiel et s’il n’existe aucun traitement médicamenteux contre l’autisme, des méthodes éducatives, comportementales et développementales permettent néanmoins d’agir sur les symptômes. « J’ai un garçon autiste qui a aujourd’hui 26 ans. Lorsqu’il était enfant, nous avons choisi de travailler avec l’ABA (Applied Behaviour Analysis), une thérapie comportementale intensive reconnue à l’international, mais pas au Luxembourg. À l’époque j’étais juriste : j’ai arrêté de travailler et je me suis formée en Italie, notre pays d’origine, pour accompagner mon fils. J’ai suivi un master en autisme, un autre en besoins éducatifs spéciaux pour devenir thérapeute et superviseure ABA. Pour m’épauler et assurer sa prise en charge, des thérapeutes et étudiants italiens ont habité avec nous durant huit ans », raconte Annalisa Destefanis, dont la vie a alors changé du tout au tout.

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30 bénévoles viennent chaque semaine à la maison pour encadrer mon fils autiste, Alexandra Nadal, maman de César

Maman d’un petit César de 5 ans présentant un TSA, Alexandra Nadal s’est quant à elle tournée vers la méthode de l’association Autisme Espoir Vers l’École (AEVE). « Elle repose sur des séances de jeu intensives et régulières assurées par des bénévoles pour stimuler le développement social et cognitif de l’enfant au sein d’une salle de jeux aménagée à domicile. Nous avons une trentaine de bénévoles qui se rendent chez nous chaque semaine pour assurer la continuité de ces séances. Le tout est encadré par une psychologue », explique celle qui, après de nombreuses lectures sur le sujet, s’est aussi tournée vers l’homéopathie et la naturopathie pour améliorer la condition de son fils. « Il est suivi à distance par des spécialistes au Canada et suit un régime alimentaire digne d’un grand sportif, sans gluten ni lactose, entre autres, notamment pour réduire sa perméabilité intestinale car des études estiment que l’autisme a un lien avec le microbiote intestinal ». Une combinaison de solutions qui ont permis à César de faire en deux ans de grands progrès en socialisation et en autonomie.

Améliorer la formation des encadrants et la prise en charge financière

Objectif commun de tous ces parents ? Permettre à leur progéniture d’intégrer le système scolaire. « On essaie de les maintenir dans l’enseignement classique, car beaucoup d’apprentissages se font avec les enfants du même âge. Ils bénéficient alors d’assistants en fonction de leurs besoins spécifiques ou peuvent intégrer des classes adaptées proposées par le CTSA (centre pour enfants et jeunes présentant un trouble du spectre de l’autisme) », précise la FAL. Malheureusement, le manque en matière d’encadrement et surtout de formation et de sensibilisation du personnel enseignant et médical reste important. Un nouveau certificat universitaire intitulé « Comprendre l’autisme en vue d’une meilleure inclusion » a pourtant été lancé en début d’année par le Competence Centre de l’Université du Luxembourg pour aider les professionnels. Des modules sur le sujet peuvent être suivis à l’Institut de Formation de l’Éducation Nationale (IFEN). Il est toutefois difficile de saisir un trouble aux multiples facettes en seulement quelques heures de cours…

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1% de la population au Luxembourg, soit 6600 personnes, serait concernée par le TSA, soit 1 cas sur 100 en Europe. Il y a 30 ans, on parlait d’un cas sur 15 500, Patrick Simon, FAL (chiffres : Autisme Europe)

Un déficit comblé bien souvent par les parents eux-mêmes, qui mettent en place de véritables machines de guerre et chamboulent leur quotidien, à l’instar d’Annalisa et de sa reconversion ou d’Alexandra et de ses 30 bénévoles. Si certaines familles peuvent financer les soins et l’accompagnement par elles-mêmes ou grâce à des assurances dépendance ou privées, beaucoup n’ont pas cette chance, l’aide publique luxembourgeoise restant limitée et conditionnée à un diagnostic.

Le mal-être des adultes, diagnostiqués sur le tard

Au-delà des enfants, de nombreux adultes atteints d’un TSA ignorent leur condition et peinent à comprendre l’origine de leur mal-être. Cela a longtemps été le cas de Joanne Theisen, une Luxembourgeoise née en Corée du Sud. « J’étais bonne élève en général, mais j’ai eu de grosses difficultés au lycée et durant mes études. Je ne comprenais pas pourquoi j’étais épuisée après des interactions sociales. Je faisais comme les autres, mais je finissais fatiguée ou agacée. Je parlais de façon directe, ce qui créait parfois des conflits sans que je comprenne pourquoi. J’ai pensé à l’autisme, mais les professionnels me disaient que ce n’était pas possible, car je parlais, regardais dans les yeux. Après un burn-out, j’ai contacté la FAL et j’ai finalement été diagnostiquée à l’âge de 25 ans. Pour moi ça a été comme mettre des lunettes que je ne pensais pas nécessaires. Au début, j’ai continué à vivre comme avant, puis j’ai fait mon coming-out autistique, j’en ai parlé et j’ai commencé à faire des ajustements qui me sont aujourd’hui bénéfiques ».

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J’ai sombré dans une profonde dépression et eu des pensées suicidaires, Joël Schmit, créateur de Mindory App

Joël Schmit a lui aussi été diagnostiqué sur le tard, après avoir longtemps, et douloureusement, tenté de s’adapter : « J’ai été diagnostiqué TDAH (Trouble du Déficit de l’Attention avec Hyperactivité) à 9 ans, à une époque où la prise en charge était très limitée. On a tenté de me “corriger”, ce qui m’a mené dans des foyers et hôpitaux psychiatriques. Adulte, j’ai rejoint l’armée en pensant que ça pourrait m’aider. Mais pas du tout, j’ai sombré dans une profonde dépression et pensé au suicide. Un officier haut placé a été le seul à percevoir ma détresse : il m’a écouté, aidé et sauvé. J’ai ensuite rejoint la Banque centrale du Luxembourg et j’ai à nouveau rencontré des difficultés sociales. C’est en lisant un livre sur l’autisme que j’ai eu un déclic : je me suis totalement reconnu. J’ai obtenu un diagnostic, quatre ans plus tard, à 30 ans ».

Des initiatives pour sensibiliser et favoriser l’inclusion

Depuis, Joël et Joanne ont tous les deux mis à profit leurs expériences pour parler de l’autisme. Joanne raconte son expérience et distille ses conseils sur un site Internet éponyme et a co-fondé le site web hasilux.lu qui regroupe une mine d’informations sur l’éducation inclusive au Luxembourg. Joël Schmit a imaginé l’application Mindory App qui s’appuie sur l’IA et les contributions de 150 testeurs autistes et/ou TDAH pour accompagner les autistes au quotidien, monitorer leur niveau de stress et les aider à gérer les tâches complexes, comme faire les courses, en les décomposant.

Annalisa Destefanis met à profit sa formation et son expérience auprès d’autres familles du Luxembourg touchées par l’autisme, tandis qu’Alexandra Nadal vient de créer Youth Care Luxembourg, une toute nouvelle ASBL pour soutenir financièrement d’autres familles.

Ces voix qui s’élèvent trouvent peu à peu écho, avec l’instauration par exemple des heures silencieuses qui limitent les nuisances sonores et visuelles dans certaines grandes surfaces ou la récente initiative des Sunflowers à lux-Airport, portée par Jana Degrott, entrepreneuse sociale dont le frère est autiste. « Sa condition, sa dépendance, ont impacté toute ma vie et guident chacune de mes actions. J’ai fondé Real Impact Hub pour créer des solutions concrètes en matière d’accessibilité. Grâce à cela, lux-Airport est devenu la première entreprise au Luxembourg à rejoindre le réseau Hidden Disabilities Sunflower, permettant aux personnes avec un handicap invisible de signaler leur besoin d’assistance grâce à un tour de cou à motif de tournesol », confie-t-elle.

Une belle avancée même si différents sujets restent à améliorer, notamment ceux de l’inclusion professionnelle et de l’augmentation du nombre de logements accompagnés pour les personnes atteintes d’un TSA.

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