Historiquement, la beauté n’est pas une industrie nationale au Luxembourg. Et pourtant, dans les coulisses, un modèle d’innovation cosmétique très singulier prend forme, porté par une rigueur scientifique, une excellence industrielle et une exigence artisanale.

Ni un « label Luxembourg », ni une filière concertée, mais un même réflexe de maîtrise, du laboratoire public au laboratoire maison, qui pourrait bien contribuer à redéfinir les contours de la beauté moderne.

Un territoire sans identité cosmétique, mais avec des savoir-faire puissants

Au Luxembourg, il n’existe pas de grands noms de la cosmétique. Pourtant, les moyens, les compétences et les outils existent. Il y a la recherche appliquée du Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST), capable de produire localement des actifs innovants. Il y a IL Cosmetics Group, un des leaders mondiaux de la sous-traitance maquillage, qui exporte dans plus de 100 pays des produits clean et performants, avec 600 employés et une capacité globale de production qui se compte en millions d’unités de produits. Il y a Dandy Craft, une marque à taille humaine qui maîtrise toute la chaîne, de la formule au retour client. Et il y a MD Skin Solutions, maison familiale fondée par quatre frères et sœurs, qui entend faire du Luxembourg une référence mondiale de la cosmétique régénérative.

Fondée en 1984, IL Cosmetics Group ne se contente plus de produire uniquement du vernis à ongles pour les grandes marques : l’entreprise investit massivement avec l’objectif d’offrir de plus en plus de catégories de produits, notamment grâce à l’acquisition de Cosmetion en Italie, qui élargit ses compétences dans les poudres et le maquillage du teint. Un deuxième site de production laboratoire entièrement dédié au maquillage est en cours de développement au Luxembourg ; le centre R&D passe ainsi à 55 experts entre Luxembourg et l’Italie.

L’entreprise a mis en place une approche de formulation avancée, combinant innovation matière, performance technique et compatibilité avec les exigences de la clean beauty. Les nouvelles textures développées sont testées à la fois en interne et en collaboration avec des panels consommateurs. IL Cosmetics Group a également investi dans des technologies d’évaluation sensorielle et de tenue longue durée, pour répondre aux demandes précises des marques internationales.

Une stratégie discrète mais assumée :

« Nous ne sommes pas une marque, nous sommes un partenaire industriel entièrement dédié à nos clients afin de les accompagner dans le développement et la réussite de leurs projets, ce qui fait la différence de l’intérieur », explique la directrice marketing du groupe, Aurélie Ignaccolo.

IL Cosmetics travaille également à renforcer ses engagements sociaux et environnementaux, avec notamment l’obtention récente de la médaille EcoVadis Gold. Pour aller plus loin, IL Cosmetics prévoit, entre autres, de se faire auditer selon les standards SA8000 et Smeta 2P, d’adhérer à la charte de la diversité et d’approfondir les critères RSE dans ses appels d’offres fournisseurs. Ces avancées placent l’industriel à l’avant-garde des exigences ESG, même s’il refuse d’en faire un argument marketing.

Des actifs de haute qualité

Le LIST est sans doute l’exemple le plus radical de cette approche : le centre cultive des cellules végétales et des micro-organismes en bioréacteur pour produire des extraits actifs standardisés et des produits naturels à haute valeur ajoutée. Beaucoup d’entre eux présentent des propriétés anti-inflammatoires ou régénérantes.

« L’idée, c’est d’offrir une alternative durable, traçable et reproductible à la culture traditionnelle de plantes ou à la synthèse chimique », explique le LIST.

Ce dernier travaille également dans le domaine de la récupération, de la purification et de la formulation avancée de ces extraits et produits dans des matrices naturelles pour garantir leur stabilité et leur biodisponibilité, tout en remplaçant les polymères synthétiques habituellement utilisés en cosmétique.

Chez MD Skin Solutions, la recherche scientifique est tout aussi centrale. L’entreprise, spécialisée historiquement dans le traitement de solutions anti-âge, a transposé son expertise vers la cosmétique en conservant une rigueur clinique.

« Notre innovation repose sur trois piliers fondamentaux : biotechnologie, personnalisation et sécurité », revendiquent d’une seule voix les cofondateurs, Dany, Carine, Cynthia et Dina Germanos.Leur nouvelle gamme grand public meso’me rend accessibles les protocoles médicaux comme le microneedling, tout en garantissant la sécurité et la tolérance dermatologique. Leur modèle est hybride : une entreprise familiale à taille humaine, capable de s’adresser aussi bien aux cliniques médicales qu’au retail international. Leur force repose sur la capacité à combiner rigueur pharmaceutique, sensibilité cosmétique et marketing ciblé. Un pari audacieux, mais solidement encadré.

La formulation comme acte de souveraineté

Installé à Esch-sur-Alzette, Dandy Craft n’a pas de laboratoire industriel ni de bioréacteur : la marque fait tout en interne. « Je formule moi-même, je suis responsable de chaque ingrédient », énumère Michel-Ange Rodriguez, derrière la R&D de la marque certifiée ECOCERT Cosmos, dont trois produits figurent sur la short list des European Natural Beauty Awards (ENBA) et dont la Crème de Jouvence a reçu un Prix d’Excellence lors de la cérémonie qui s’est tenue le 29 septembre dernier à Paris.

« Dandy Craft est la seule et unique marque luxembourgeoise nominée aux ENBA, c’est une vraie fierté », explique Solène Whiskin, cofondatrice et responsable de la communication. Dandy Craft revendique sa volonté : celle de ne rien sous-traiter, de tout comprendre, de tout maîtriser.

« Nous avons fait le choix de référencer nos produits en grande distribution, afin que tout le monde puisse avoir accès à une cosmétique exigeante, artisanale et certifiée », poursuit Solène Whiskin.

Ce que le Luxembourg peut construire

En croisant ces logiques – scientifique, industrielle, artisanale, médico-esthétique –, une même idée transparaît : celle d’une beauté autonome. Pas au sens politique, mais au sens technique.

« Nos actifs peuvent être produits localement, testés ici, encapsulés avec des matrices naturelles », dit le LIST. « Nous avons tout intégré, de la R&D à la production », renchérit Aurélie Ignaccolo. « Je fais tout parce que je veux savoir ce que je vends », poursuit Michel-Ange Rodriguez.

Mais ces forces restent dispersées. Le LIST cherche des partenaires locaux, tandis que Dandy Craft ne trouve pas sa place dans les logiques d’accompagnement. IL Cosmetics fonctionne à huis clos et MD Skin, bien que connecté à des réseaux médicaux, est encore peu identifié dans la cosmétique traditionnelle.

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Il n’y a pas de structure pour mettre en lien ces intelligences. Et pourtant, tout est là : la rigueur, l’éthique, la compétence. Il manque un récit, un réseau, une reconnaissance commune.

C’est un fait : le Luxembourg ne vendra pas sa beauté par l’image, mais il pourrait bien s’imposer par sa fiabilité. Tous les ingrédients sont là : des laboratoires de pointe, des industriels engagés, des marques indépendantes audacieuses, une distribution experte et un ancrage européen fort. Il ne manque qu’un soutien politique structurant. Pour que cette excellence devienne une filière identifiée, il faudra que les pouvoirs publics accompagnent cette dynamique. Le Luxembourg a les clés, les acteurs et la volonté : encore faut-il que l’écosystème soit reconnu, soutenu et mis en réseau par ceux qui ont les moyens de lui donner de l’ampleur.

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