Créatrice de chaussures de luxe, Sarah Zigrand s’est forgé une carrière impressionnante en travaillant avec les plus grands noms de la mode, comme Loewe. Elle maîtrise l’art de concilier l’esthétique d’ucne marque et sa propre vision créative. Discussion avec la créatrice britannique qui réside au Luxembourg depuis 2005.
Quand avez-vous réalisé que vous vouliez devenir créatrice de chaussures ?
Bien que je n’aie étudié leur design qu’à la fin de la vingtaine, mon obsession pour les chaussures a commencé vers l’âge de 5 ans. Mes parents insistaient toujours pour que je porte des chaussures pratiques et solides (généralement des Clarks et du cuir marron foncé !). Un jour, j’ai trouvé une paire de sandales délirantes que quelqu’un avait jetées dans la rue… Elles étaient rouges, avec une énorme fleur découpée et probablement en vinyle (c’était dans les années 70). J’ai eu le coup de foudre, elles semblaient si exotiques ! Malheureusement, je n’ai pas eu le droit de les garder. Depuis, cette fascination précoce ne m’a jamais quittée.
Un préjugé à démonter sur votre métier ?
Que tout ce que vous concevez est le reflet de vos propres goûts. En fait, le travail d’un styliste consiste à traduire et à filtrer les idées du directeur de la création et à les coordonner avec tous les autres éléments qui composent une collection (silhouettes de prêt-à-porter, tissus, accessoires, besoins en matière de merchandising, etc.). Il est essentiel de comprendre l’esthétique d’une marque et de savoir doser son goût personnel dans ce cadre.

Un jour, j’ai trouvé une paire de sandales délirantes que quelqu’un avait jetées dans la rue… Elles étaient rouges, avec une énorme fleur découpée et probablement en vinyle
Vous souvenez-vous du moment où vous vous êtes dit : « J’ai réussi » ?
J’attends toujours ce moment ! Je pense qu’il est limitant, d’un point de vue créatif, de se reposer sur ses lauriers. S’efforcer de rester curieux et sortir de sa zone de confort sont des moteurs permanents pour tout bon designer. Il est néanmoins évident qu’il y a une certaine excitation à voir son travail sur un podium lors d’un défilé, mais c’est aussi toujours agréable de voir des inconnus porter mes créations, et de leur mentionner que j’ai conçu les chaussures qu’ils portent.
Quel est votre point de vue sur le paysage de la mode au Luxembourg ?
Il a énormément évolué. Il y a vingt ans, il n’y avait presque pas de vintage et très peu de boutiques individuelles intéressantes… tout était généralement très conventionnel. Les gens semblent beaucoup plus ouverts aux nouvelles idées et à la diversité aujourd’hui et c’est formidable de voir autant de projets vintage et de pop-up créatifs.
Vous avez travaillé avec des noms emblématiques de la mode. Un moment marquant à partager ?
Pendant de nombreuses années, j’ai dessiné des chaussures pour Hussein Chalayan. Ses défilés étaient incroyables, très conceptuels et très émouvants. Comme pour tous les défilés, l’équipe de conception a rarement l’occasion d’y assister en tant que spectatrice et doit rester disponible en coulisses. Lors du défilé Printemps-Été 2007, j’étais très enceinte et j’ai donc pu m’asseoir en salle pour regarder le défilé qui était sponsorisé par Swarovski… Le défilé était une gigantesque mer de minuscules cristaux et la « musique » qui l’accompagnait était le son des pas des mannequins qui écrasaient les cristaux en marchant dessus… L’acoustique était amplifiée dans toute la salle, c’était incroyable. À la fin du défilé, un ou deux invités effrontés se sont jetés sur le podium pour voler des poignées de cristaux. En quelques secondes, le reste de l’assemblée a suivi. C’était le chaos, semblable à un match de rugby, et le catwalk s’est retrouvé entièrement nettoyé en moins de deux minutes… C’était si étrange ! (Je crois que j’ai toujours un cristal dans une boîte quelque part…)
Quels sont les créateurs de chaussures que vous admirez ?
Des créateurs historiques et emblématiques comme Salvatore Ferragamo, André Perugia, Beth Levine, Tokio Kumagai, mais aussi des créateurs contemporains qui ont travaillé en coulisses des plus grandes marques comme Nina Christen, James Nisbet, Christine Ahrens… Ce sont tous des créateurs incroyables.

J’ai des centaines de chaussures dans mes archives, dont beaucoup que j’aime pour différentes raisons.
Avez-vous déjà songé à créer votre propre marque ?
Non, je n’ai jamais eu envie de créer ma propre marque. Je pense que l’investissement nécessaire et les maux de tête logistiques impliqués seraient énormes et finalement restrictifs sur le plan créatif. J’aime beaucoup travailler en collaboration avec des directeurs de création, c’est un processus très différent.
Combien de paires de chaussures possédez-vous ?
Trop pour les compter ! Et je porte aussi certaines de mes créations, bien sûr.
À quoi faut-il veiller avant d’acheter une nouvelle paire de chaussures ?
Toujours du cuir, à l’intérieur comme à l’extérieur. Les semelles en cuir sont essentielles pour une chaussure de qualité.
Parlez-nous de la paire la plus emblématique que vous possédez ?
J’ai des centaines de chaussures dans mes archives, dont beaucoup que j’aime pour différentes raisons. Je pense que tout ce qui est iconique doit transcender le temps. La mode est inconstante par nature, plus que jamais aujourd’hui et la « fast fashion » est totalement préjudiciable à un bon design. En fin de compte, je trouve que mes Converse, mes Vans, mes Birkenstocks ou mes Desert Boots de chez Clarks resteront éternellement emblématiques !
Qu’est-ce qui définit une chaussure de prestige pour vous ? Y a-t-il un détail spécifique que vous recherchez ?
Je ne suis pas une adepte des chaussures qui attirent l’attention ou trop compliquées. Je pense qu’une silhouette forte ou un détail inattendu sur une chaussure simple est bien plus beau.
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