Congeler ses ovocytes pour faire fi de l’horloge biologique et devenir mère plus tard, après une carrière, une rencontre ou tout simplement au cas où l’envie pointerait un jour le bout de son nez, c’est possible, mais pas au Luxembourg. Enquête sur cette pratique qui connaît un fort succès, partout dans le monde.

Congeler ses ovocytes, c’est choisir de ponctionner ses gamètes à un moment donné de sa vie de femme, de les vitrifier dans de l’azote liquide à une température de -197°C, pour les réutiliser plus tard afin de faire un enfant par FIV (Fécondation In Vitro). En d’autres termes, c’est se donner la possibilité de déjouer un petit peu le processus de vieillissement en préservant sa fertilité pour reporter son projet de maternité. Une pratique qui se fait au Luxembourg, mais uniquement pour raison médicale – dans le cadre d’un parcours de PMA (Procréation Médicalement Assistée) ou pour une grossesse après un traitement lourd – mais pas pour convenance personnelle. Le « social freezing » n’est donc pas possible au sein du pays, alors qu’il est autorisé en Belgique, en France, en Allemagne, en Espagne, en Grande-Bretagne, en Italie ou aux Pays-Bas.

« La CNS nous fournit le personnel nécessaire sur base de notre activité qu’elle rembourse. Or, avec les ressources dont nous disposons actuellement, il n’est pas possible de proposer le social freezing des ovocytes, d’autant plus que la demande est en hausse constante. Cela finirait par se faire au détriment de la prise en charge des patientes infertiles. Pour celles qui souhaitent faire congeler leurs ovocytes pour raison personnelle, nous les orientons vers la Belgique avec qui nous entretenons des liens privilégiés », explique Dr Thierry Forges, médecin biologiste responsable du laboratoire national de PMA au CHL.

Brussels IVF et le Centre de fertilité de Louvain confirment effectivement recevoir et traiter des patientes luxembourgeoises, tout comme le CHR Metz-Thionville. Car la France aussi autorise la congélation d’ovocytes pour convenance personnelle aux femmes de 29 à 37 ans depuis 2021, avec l’âge limite de 45 ans pour les utiliser. L’Hexagone est d’ailleurs le seul pays au monde où cette opération est intégralement prise en charge par la Sécurité sociale : beaucoup de femmes y ont recours et dans certains départements, l’attente est très longue. « En Belgique, la congélation est possible jusqu’à 38-40 ans et l’utilisation autorisée jusqu’au 47e anniversaire, le tout à charge de la patiente », ajoute Dr Forges.

Tourisme médical

Pourtant, aux dires des patientes luxembourgeoises, ce n’est pas la Belgique mais l’Espagne qui arrive en tête des destinations où il fait bon procéder au social freezing. Une recherche Google plus tard, on comprend pourquoi : les sites – multilingues – des cliniques privées sont légion, notamment à Barcelone – et affichent en grand leurs taux de réussite, osant même les offres « promotionnelles » avec des mois de conservation des gamètes « gratuits ». La machine est rodée.

Autre atout inégalable, en plus de la longue expérience du pays en matière de fertilité : en Espagne, les femmes peuvent utiliser leurs gamètes congelés jusqu’à 50 ans.

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“En Espagne, les femmes peuvent utiliser leurs gamètes congelés jusqu’à 50 ans”

Laurence, 42 ans, est de celles qui ont choisi de rejoindre la capitale catalane depuis Luxembourg pour congeler ses ovocytes. « Dès que je me suis intéressée au sujet, il y a deux ans, on m’a rapidement conseillé l’Espagne et j’ai fini par me renseigner auprès de la clinique Dexeus, à Barcelone. Leurs gynécologues parlent quatre langues et sont ultra flexibles, ils proposent des consultations en ligne le soir à 21h ou même le week-end, tout est très digitalisé et fait pour que ce soit pratique quand on n’est pas sur place. C’est une vraie industrie, on voit qu’ils font ça depuis longtemps ».

Pas de quoi rassurer Clara*, 28 ans, qui préfèrerait être suivie au Luxembourg. « Deux gynécologues d’ici m’ont vivement recommandé Barcelone, mais c’est justement la destination qui me freine. Cela nécessite de poser des jours de congés, de se loger sur place, d’être suivie à l’étranger et de faire tout à distance. Or, je préfèrerais être suivie ici, au cas où… Sans compter que ça représente une grosse dépense ».

Combien ça coûte justement ?

En Espagne, Laurence a payé « environ 10 000 euros », parce qu’on lui a recommandé « de faire deux ponctions d’ovocytes pour être sûre ». À cela s’ajoutent les médicaments, les analyses et échographies – qu’elle a pu en partie se faire rembourser au Luxembourg grâce au soutien de son gynécologue local, mais qui étaient « à avancer malgré tout » – en plus des hôtels sur place et des billets d’avion « à prendre en last minute selon le cycle menstruel et au moment opportun où il faudra réaliser la ponction ». Et cela, sans compter les frais annuels de conservation des ovocytes parfois facturés en supplément. « Ce n’est clairement pas quelque chose que tout le monde peut se payer », conclut-elle.

En Belgique, il faut compter 2900 euros minimum pour la congélation, la conservation, les médicaments, le prélèvement et les soins ambulatoires indique par exemple le site Internet de Brussels IVF. L’utilisation des ovocytes congelés, notamment leur transfert post FIV n’est pas compris dans ces prix.

Plus de stimulations pour plus de résultats… à quel prix ?

Au-delà de l’aspect financier, il y a un risque pour les femmes. La congélation est réalisée après une ponction effectuée suite à une stimulation ovarienne à base d’injection d’hormones. Une procédure qui n’est pas sans danger, surtout si elle est boostée plus que de raison pour maximiser la collecte ovocytaire et parvenir à de bons résultats.

« Le principal risque de ces traitements, c’est le syndrome de l’hyperstimulation, où la réponse ovarienne dépasse ce qui est prévu. C’est une complication connue qui touche 5% des femmes et qui se traduit par des douleurs abdominales, une sensation de ballonnement et une accumulation d’eau dans la cavité abdominale. Dans de très rares cas, les conséquences sont plus sévères – insuffisance rénale transitoire, thrombose veineuse ou embolie pulmonaire – et peuvent nécessiter des mesures de réanimation », détaille Dr Thierry Forges.

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“Le principal risque de ces traitements, c’est le syndrome de l’hyperstimulation, où la réponse ovarienne dépasse ce qui est prévu”, Dr Thierry Forges, médecin biologiste responsable du laboratoire national de PMA au CHL.

La stimulation, Laurence en a subi deux. « Il faut se faire des piqûres toute seule, pendant plusieurs jours. La première fois ça allait, j’ai réussi à produire cinq ovocytes, mais on m’a dit que ce n’était pas assez, car tous ne survivent pas. La seconde fois j’en ai produit onze, mais au moment de la stimulation, j’ai fait une grosse crise de panique, sans doute à cause des hormones. Ça m’a beaucoup effrayée et ça reste vraiment mon pire souvenir ». D’autres femmes évoquent une lourde fatigue, des bleus sur le ventre à cause des piqûres, des nausées, de l’acné, des migraines, des insomnies voire même des chutes de cheveux comme effets secondaires.

Pas de succès garanti

Côté résultats, une étude menée par Brussel IVF et publiée en 2024 s’est concentrée sur 843 femmes – majoritairement célibataires et âgées de 36 ans en moyenne – ayant fait congeler leurs ovules chez eux entre 2009 et 2019. Jusqu’en 2022, 27 % d’entre elles sont revenues pour un traitement de fertilité après 40 ans. 41 % ont donné naissance à un bébé en bonne santé après l’épreuve de la FIV, avec une moyenne de survie de 83 % des ovules lors du processus de décongélation.

Pour l’heure, il reste toutefois difficile d’évaluer totalement le succès du social freezing, car il dépend aussi de la capacité de chaque femme à mener une grossesse à son terme selon son âge, mais aussi de la qualité du sperme de son conjoint. « Il ne faut pas non plus oublier les risques d’une maternité tardive, surtout pour les femmes qui n’ont jamais eu d’enfant avant. Un plus grand risque existe après 40 ans, au niveau obstétrical et fœtal. Devenir maman à 45 ans c’est être sexagénaire quand son enfant a 15 ans, ça aussi il faut s’en rappeler », alerte Dr Forges.

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“Il ne faut pas non plus oublier les risques d’une maternité tardive, surtout pour les femmes qui n’ont jamais eu d’enfant avant”, Dr. Thierry Forges.

Car si la congélation n’altère pas la qualité des ovocytes, rappelons qu’elle ne constitue en rien l’assurance de tomber un jour enceinte. Elle permet de préserver la fertilité, mais à condition de réaliser le prélèvement des gamètes suffisamment tôt. « La fertilité baisse après 35 ans, or les femmes optent pour cette solution plutôt vers 37-38 ans, souvent parce qu’elles n’ont pas trouvé le partenaire idéal, plutôt que parce qu’elles souhaiteraient privilégier leur carrière professionnelle », souligne Dr Thierry Forges.

Joëlle Belaisch-Allart, chef du service de médecine de la reproduction à l’hôpital de Saint-Cloud et présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), apporte un autre point de vue dans Medscape. « En 2023, 80% des femmes le faisaient car elles n’avaient pas de partenaire et peur de l’avenir. Mais en 2024, on voit arriver dans nos cabinets des femmes avec leur compagnon qui ne savent pas quand ils essayeront de faire des enfants. 40% des patientes en consultation sont en couple et 20% viennent avec Monsieur ».

Une décision à venir en 2025 pour le Luxembourg

Interrogée sur la question, Claire Schadeck du CID | Fraen an Gender du Luxembourg reconnaît l’utilité de cette pratique mais rappelle que « ce choix semble largement motivé par des considérations liées à la carrière professionnelle et à la sécurité financière ». Le risque ? « Cela peut devenir un levier supplémentaire pour exercer une pression sur les femmes en laissant entendre qu’elles disposent désormais de la possibilité de congeler leurs ovocytes et qu’elles devraient donc prioriser leur trajectoire professionnelle. Ce type de dynamique peut émaner aussi bien de la sphère privée, à travers les partenaires, que de la sphère professionnelle, certaines entreprises – comme Facebook et Apple – ayant même proposé de couvrir les coûts de cette procédure pour leurs employées. »

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“Cela peut devenir un levier supplémentaire pour exercer une pression sur les femmes en laissant entendre qu’elles disposent désormais de la possibilité de congeler leurs ovocytes et qu’elles devraient donc prioriser leur trajectoire professionnelle.” Claire Schadeck, du CID | Fraen an Gender.

Un avis partagé par le Dr Thierry Forges, pour qui l’urgence est ailleurs. « Peut-être devrions-nous nous interroger sur les raisons qui poussent les femmes à opter pour cette pratique et trouver des solutions pour leur faciliter la vie, comme supprimer les inégalités hommes-femmes en matière d’accès aux emplois, de salaires et de sécurité financière ».

Pour l’heure, au Luxembourg, la Commission nationale de l’Éthique (CNE) a été saisie d’une question spécifique au sujet du social freezing en 2023, mais sa réponse qui n’est pas encore parue « en raison de la nécessité de finaliser deux autres avis relatifs à l’intelligence artificielle et à l’IVG » devrait être publiée au cours de l’année 2025, a confirmé la CNE à ELLE Luxembourg. « Cela nous permettra de nous positionner et de poursuivre nos travaux sur les sujets relevant de la bioéthique et de la procréation médicalement assistée, conformément au programme détaillé dans l’accord de coalition », assure le Ministère de la Santé.

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