Longtemps honteuse et reléguée dans l’ombre, la santé mentale s’invite enfin dans les conversations, les médias… mais également dans les livres. Les autrices et auteurs n’hésitent plus à raconter leur expérience de la dépression, de la bipolarité, se confier sur les angoisses qui peuvent jalonner leur vie, ou aborder le simple épuisement du quotidien.
Si les pouvoirs publics commencent à prendre à bras le corps cette thématique, notamment accentuée par la crise sanitaire, les médias lui donnent aussi de plus en plus de place. La littérature, elle, occupe une place à part dans cette libération de la parole : lire peut réparer, en créant notamment une communauté invisible de lectrices et lecteurs ; lire peut relier les trajectoires, faire coïncider les vécus. Se plonger dans une histoire qui fait écho à la sienne, c’est déjà se sentir un peu moins seul ; c’est comprendre que non, on n’est pas folle.
La santé des jeunes au Luxembourg particulièrement fragilisée
Et cette prise de conscience n’a jamais été aussi nécessaire. Selon les chiffres dévoilés en mars 2025 par la ministre luxembourgeoise de la Santé, le nombre de jeunes de 6 à 17 ans ayant acheté au moins un antidépresseur a augmenté de plus de 30 % en cinq ans. En 2024, 483 enfants et adolescents ont eu recours à un traitement. Le nombre d’ordonnances, lui, a bondi de 44,9 %. Si ces chiffres n’indiquent pas forcément une crise durable, ils révèlent un mal-être grandissant.
Aux adultes comme aux plus jeunes, voici cinq livres essentiels, intimes et lumineux, qui osent regarder la noirceur en face, pour mieux l’apprivoiser.
Intérieur nuit, de Nicolas Demorand : de l’ombre à la lumière
Il est l’une des voix les plus familières de la radio française et son récit a résolument marqué un tournant dans ce genre de littérature. Nicolas Demorand a en effet ému aux larmes lors de la chronique dans laquelle il raconte sa bipolarité, avec une sincérité bouleversante. Il raconte le vertige intérieur, le trop-plein, l’épuisement. Entre la fatigue d’un enfant hypersensible et celle d’un adulte submergé, Intérieur nuit explore toutes les zones grises de l’existence. L’écriture est pudique, parfois désarmante. Un livre qui prouve qu’on peut tout dire, sans jamais se trahir.
Intérieur nuit, Nicolas Demorand, aux éditions les Arènes
Folie et résistance, de Claire Touzard : survivre, c’est résister
Claire Touzard écrit comme on se sauve. Après Sans alcool et Féminin, la voici qui poursuit son chemin vers la reconstruction, avec Folie et Résistance. Diagnostiquée bipolaire, elle interroge dans ce texte la délicate et mouvante frontière entre la maladie et la norme ; entre le soin et le contrôle. Si son récit naît de son expérience, elle questionne également la façon dont la société catégorise ce qui dérange. Chez elle, la « folie » devient un prisme, un espace politique : celui d’une résistance à l’ordre établi. Son écriture, tendue et sans concession, refuse la complaisance. C’est un livre frontal, habité, qui cherche moins à rassurer qu’à comprendre. Le coup de cœur ELLE Luxembourg.
Folie et Résistance, Claire Touzard, aux éditions Divergences
Mon vrai nom est Élisabeth, d’Adèle Yon : mettre des mots sur le vertige
Avec ce premier roman largement salué par la critique, Adèle Yon signe une plongée vertigineuse dans l’enfermement mental. En enquêtant sur son arrière-grand-mère internée dans les années 1950, Adèle Yon signe un récit entre essai et mémoire familiale. Mon vrai nom est Élisabeth explore le destin de ces femmes jugées « folles », parce qu’elles ne rentraient pas dans les cadres établis par le patriarcat ; trop libres, trop seules, trop vivantes. L’autrice retrace l’histoire d’une existence effacée par la psychiatrie d’après-guerre : électrochocs, lobotomie, silence. Son écriture, sobre et précise, redonne une dignité à celles qu’on a voulu faire taire. Un texte fort, même si parfois très dur, mais qui interroge la frontière entre soin et domination, entre oubli et justice.
Mon vrai nom est Élisabeth, Adèle Yon, aux éditions du Sous-Sol
La prochaine fois que tu mordras la poussière, de Panayotis Pascot : apprendre à grandir dans la vérité
Il a longtemps fait rire sur les plateaux télé. Mais derrière le sourire de Panayotis Pascot, il y avait la honte, la peur, la solitude. Dans ce texte brillant, d’une lucidité rare, l’humoriste raconte la dépression, la découverte de son homosexualité, le poids du silence familial. Puis, ce chemin vers la lumière qu’on entreprend quand on accepte enfin d’être soi. C’est un livre vrai, cru parfois, mais d’une tendresse infinie. Un récit générationnel, celui d’une jeunesse rompue aux injonctions à bien faire, mais qui, elle aussi, craque.
La prochaine fois que tu mordras la poussière, Panayotis Pascot, aux éditions Grasset & Folio
Et une lecture jeunesse pour finir : Géographie de la peur, de Claire Castillon (Gallimard Jeunesse) : parler de santé mentale aux enfants
Maureen a 19 ans. Elle vit recluse, prisonnière d’une peur qui ne dit pas son nom : l’agoraphobie. Dans Géographie de la peur, Claire Castillon explore ce territoire invisible qu’est l’anxiété, cette cage mentale dont on devient soi-même l’architecte. Par une langue tendue, presque claustrophobe, elle donne forme au vertige intérieur, à la confusion entre le réel et l’imaginaire. C’est un roman sur le repli, mais également sur la résistance : continuer à penser, même quand on n’ose plus sortir.
Géographie de la peur, Claire Castillon, aux éditions Gallimard Jeunesse