Que reste-t-il de l’héritage sellier d’Hermès, après six générations et près de deux siècles de développements dans des métiers aussi différents que la maroquinerie et l’équitation, la soie, le prêt-à-porter, les accessoires de mode, la bijouterie, l’horlogerie, la parfumerie, le mobilier ou encore la beauté, les arts de la table et petit h. Pour en avoir le cœur net, je suis partie en immersion à la source, dans l’un des évènements les plus emblématiques du monde équestre français : le Saut Hermès.

Épreuve N°8 – Prix de la Ville de Paris CSI 5_ – Tour d_honneur Victor Bettendorf ©Christophe Taniere

Depuis quinze ans, il est un rendez-vous prisé tant par les professionnels que les élégants. De retour sous la majestueuse verrière du Grand Palais à Paris après quelques années reléguée sur le Champ de Mars, l’édition de cette année a la saveur particulière du retour. Une nouvelle fois, l’hymne luxembourgeois retentit en l’honneur du talentueux cavalier Victor Bettendorf – le plus rapide cette année – qui a remporté l’une des épreuves phares sur sa jument de quatorze ans (Prix de la ville de Paris CSI 5*). Entre l’effervescence du public dans les gradins, la langueur des flâneurs qui déambulent dans les boutiques éphémères et la concentration des équipes qui s’entraînent au paddock, je rencontre Charly Palmieri, Responsable Technique Innovation et Développement Sellerie chez Hermès.

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Nos cavaliers partenaires nous aident à améliorer la qualité de notre métier. Ils parlent avec nos artisans, leur donnent des idées

« Nous sommes nés harnacheurs ». Entré dans la maison comme maroquinier, il a rejoint les ateliers de sellerie il y a dix ans et en assure aujourd’hui la responsabilité technique. Il m’explique que loin d’être une activité accessoire et datée, l’équitation représente chez Hermès un socle en croissance. « La selle de sport a insufflé une nouvelle dynamique il y a une dizaine d’années. La maison est sollicitée par les cavaliers de dressage, de saut d’obstacle ou de concours complet, qui recherchent des modèles techniques, légers, modulables… et beaux ». Plus d’une trentaine d’artisans sellier s’active toujours dans l’atelier Faubourg à Paris et celui de Louviers, en Normandie. Si le premier travaille en continu depuis 1924, le second est sorti de terre il y a seulement deux ans. Il remplace celui de Saumur qui avait fermé ses portes il y a bien longtemps. Si votre selle a un numéro de série impair, elle vient du Faubourg et s’il est pair, de Louviers ou anciennement de Saumur. Collector. S’ajoute une trentaine d’experts-selle disséminés à travers le monde, qui analysent chaque cheval et son cavalier pour traduire leurs besoins aux artisans. Il faudra ensuite une quarantaine d’heures pour réaliser chaque selle, toujours sur-mesure et évolutive. « Chaque selle que nous produisons est doublement sur-mesure, d’abord faite pour le cheval, puis pour son cavalier », nous explique Chloé Nobécourt, Directrice Métier Équitation de la Maison. « On part d’abord de la technique en fonction des morphologies et des sensations recherchées, et le dessin vient en dernier. On l’affine ensuite au maximum, on retire le surplus, aucune pièce ne doit être inutile », ajoute Charly Palmieri. À l’image de la selle Faubourg, développée avec le cavalier partenaire belge Jérôme Guéry, qui fait apparaître ses dessous de sangles et de bois. Un travail d’épure qui va jusqu’aux coutures avec un fil-en-trait dessiné d’un seul geste qui évite les arrêts de fils et limite les frottements. « L’expérience de nos cavaliers partenaires nous aide à améliorer la qualité de notre métier. Ils parlent avec nos artisans, leur donnent des idées », complète Chloé Nobécourt.

La fantaisie n’est pas recherchée et les selles n’existent qu’en trois couleurs : irish, noir ou havane. Seuls les sangles, fils et liserés peuvent être colorés. « Nous sommes nés harnacheurs au temps des calèches, puis sommes aussi devenus selliers, pour le loisir comme pour les selles d’armes à la fin du dix-neuvième siècle. Aujourd’hui, nous œuvrons pour les sportifs », précise Charly Palmieri.

Charly Palmieri ©Lee Whittaker

« Le cheval est l’origine de tout »

Les codes de l’équitation sont certes souvent repris dans les célèbres vitrines, comme celle de la rue Philippe II, des campagnes de publicité ou des dessins qui alimentent notre imaginaire, mais peu savent qu’ils ne sont pas de simples clins d’œil, et à quel point la sellerie est une tradition vivante qui infuse un savoir-faire mobilisé au quotidien par les quinze autres métiers de la maison. « Chez Hermès, le cheval est vraiment l’origine de tout. Cette filiation est respectée et cultivée, même si la maison est devenue très vaste et a beaucoup d’activités. Chaque collection s’en inspire et on retrouve le savoir-faire sellier partout ». Nous connaissons le célèbre point sellier en maroquinerie, mais c’est la surface émergée de l’iceberg. Suivent d’autres techniques qui nous sont invisibles comme l’usage de l’abat-carre pour adoucir les pièces de cuir. Les fermoirs ingénieux qui inspirent la bijouterie. Le clou de selle qui se retrouve dans les colliers ou les poignées de sacs. Les boucles ou les passes d’étrivières sur les ceintures. Les sanglons, les quartiers de selle, les mors, les arçons et rabats sur les sacs. Le fer à cheval sur les bagues. Les dessins équins sur les carrés de soie et les noms qu’ils portent, bien sûr. Ceux des parfums, aussi. Jusqu’aux objets de rouge à lèvres dessinés par Pierre Hardy qui rappellent des barres de saut d’obstacles. « Nous recevons des visites des équipes de création et des dessinateurs dans nos ateliers de sellerie. Ils viennent s’inspirer ou parfois vérifier la véracité de leurs dessins. Parfois je découvre en boutique des échos à des échanges que nous avons eus, comme un jeu de piste. Notre devoir, à l’équitation, c’est de continuer à inspirer le reste des métiers de la Maison ». Mais ici l’inspiration doit avoir un but, le beau est pensé pour être utile. « Ce n’est pas juste un copier-coller esthétique, il y a toujours cette recherche de confort, comme avec les coutures invisibles que l’on retrouve sur les poignées de sacs et qui étaient initialement pensées pour la jambe du cavalier sur sa selle ».

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Aujourd’hui, nous oeuvrons pour les sportifs. Charly Palmieri

L’essence d’un métier

Jean-Louis Dumas disait que « le luxe, c’est ce qui se répare » et cette philosophie se retrouve tant sur une selle que sur un sac, tous deux démontables et ajustables. « On ne fait pas du jetable, les choses sont ici produites pour durer, être réparées et idéalement être transmises », réitère Charly Palmieri. Toutes les collections semblent partager la même esthétique de la fonction avec une grande fidélité au geste artisanal. Le développement de petit h a également changé la donne, désormais les matières dont les autres métiers n’ont plus l’usage changent de vocation. C’est de la création à rebours. Ainsi du matériel équestre se retrouve transformé en luge ou en balançoire, ou des arçons en guitares.

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Le luxe, c’est ce qui se répare. Jean-Louis Dumas

« Dans la maison, il y a aussi un attachement particulier pour le voyage et les mécanismes mystérieux » indique Charly. « On s’est mis à faire des sacs et de la soie quand les voitures hippomobiles ont commencé à disparaître et que les voitures à moteur emmenaient nos clients plus loin. Notre savoir-faire s’est aussi nourri de ces voyages et découvertes lointaines ». Ainsi la fermeture éclair, importée en 1922 par Émile Hermès après un voyage au Canada où ce « ferme-tout » servait à attacher les capotes d’automobiles, ensuite intégrée aux bagages, objets et vêtements. « Émile adorait sa canne parapluie et cette inventivité est insufflée aujourd’hui au travers de fermoirs complexes, de poches secrètes, de coutures invisibles, sur les selles comme sur les vêtements ou les sacs ». L’héritage familial comme une source intarissable de l’imagination et de la création, où l’idée est de faire évoluer chaque objet sans trahir l’essence du métier, dans une logique combinée de transmission et d’amélioration permanente.

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