Visage familier de la scène artistique luxembourgeoise, Jacques Schneider propose jusqu’au 20 décembre à Berchem une rétrospective de son travail, après avoir signé cet été une série de portraits non officiels du prince Guillaume et de la princesse Stéphanie. ELLE Luxembourg a échangé avec lui.

Du 25 septembre au 20 décembre, vous exposez à Berchem. Qu’est-ce que le public peut découvrir sur place  ?

J’ai démarré la peinture à l’âge de 6 ans, j’en ai 40 aujourd’hui. Dès mes 20 ans, j’ai commencé à mettre certaines œuvres de côté, en me disant qu’un jour je pourrais en faire une rétrospective. C’est ainsi qu’est née cette exposition à Berchem, dans une ancienne ferme entièrement rénovée par un architecte, qui a des allures de musée japonais. J’en ai signé la scénographie et l’on peut y voir près de 300 œuvres. Pour l’occasion, un livre paraîtra, rassemblant l’ensemble des pièces exposées et bien d’autres encore. On y trouve des sculptures, des dessins, des collages, de la porcelaine, des photographies, de la peinture… Il faut savoir que  je mène près de 700 projets chaque année, à la fois personnels et professionnels. J’ai donc beaucoup de matière, et l’univers qui se déploie ici est assez magique.

Peut-on dégager des tendances ou des mouvements qui marquent vos différentes périodes de création ?

Pas vraiment. C’est amusant que vous posiez la question : des proches venus voir l’exposition en avant-première ont découvert des œuvres qu’ils n’avaient jamais vues et qui datent pourtant de plus de vingt ans. Ils étaient convaincus qu’elles étaient récentes ! Il y a donc une vraie constante dans mon travail : je retombe toujours, d’une façon ou d’une autre, dans les mêmes grandes lignes.

Vous explorez différents médiums avec votre art. Comment vous êtes-vous formé : école ou pur autodidacte ?

J’ai suivi un cursus classique scientifique, puis, après le bac, je suis allé en France dans une école de photographie pour trois ans. Finalement, j’ai passé l’examen en candidat libre au bout d’un an… et je l’ai obtenu. Mais en réalité, j’ai toujours pratiqué l’art depuis l’enfance. La création est quelque chose de naturel chez moi. Face à un projet, j’essaie toujours d’identifier le médium le plus évident, et ce n’est pas forcément là où l’on m’attend.

Y a-t-il, dans votre entourage familial, des artistes qui ont éveillé votre curiosité ou l’art est-il entré dans votre vie autrement ?

Je me souviens d’une anecdote : un jour, à l’école, on nous a demandé de dessiner un ciel et un soleil. Normalement, on les fait bleus et jaunes. Mais comme je voyais souvent le soleil le matin ou le soir, je l’ai dessiné en orange. Ma maîtresse a été si surprise qu’elle a convoqué mon père. Il m’a alors expliqué que je devais toujours faire mes choix non pas pour plaire aux autres ou pour « faire comme tout le monde », mais parce qu’ils me correspondaient. Et que mes parents me soutiendraient toujours dans ces choix. À partir de là, j’ai tout fait en orange et bleu, un peu par esprit de contradiction.
L’orange, rarement utilisé en art – il est souvent cantonné aux ombrages – est devenu ma couleur fétiche, donnant à mes œuvres une identité unique. Sans que je le sache, ce lien avec la famille grand-ducale existait déjà : le orange et le bleu sont aussi leurs couleurs.

Je voulais y venir justement. Vous avez justement collaboré à plusieurs reprises avec le couple grand-ducal. Comment cette relation est-elle née ?

J’ai rencontré S.A.R. le Grand-Duc Henri totalement par hasard lors d’une soirée il y a une quinzaine d’années, à laquelle des amis m’avaient invité. Je lui ai posé des questions – parce que je m’en pose toujours beaucoup – et il m’a donné la même réponse que mon père : « Fais ce que ton cœur te dicte ». Depuis, je me pose moins de questions et j’écoute  mon cœur, je fais ce qui me semble en adéquation avec moi-même. C’est assez magique. J’aimerais d’ailleurs transmettre cela à mes enfants si j’ai la chance d’en avoir. Après cette rencontre, je me suis dit que les portraits officiels que je voyais du couple grand-ducal dans les administrations ne reflétaient pas les personnes que j’avais rencontrées. Je leur ai donc proposé de réaliser des portraits à travers mon propre regard. Le Grand-Duc a accepté, et, depuis, une relation artistique s’est tissée, rythmée par des rencontres annuelles.

Cet été, vous avez dévoilé des portraits de S.A.R. le prince Guillaume et de S.A.R. la princesse Stéphanie. Comment ce projet a-t-il vu le jour ?

Il y a une dizaine d’années, S.A.R. le Grand-Duc héritier Guillaume et S.A.R. la Grande-Duchesse héritière Stéphanie étaient venus visiter mon atelier, installé au sein même de mon studio. Nous avons eu une belle discussion et une dynamique s’est immédiatement créée. Quand l’intronisation a été annoncée, je les ai contactés pour leur dire que j’aimerais poursuivre le travail entamé avec leur famille. Nous avons eu quatre audiences : la première pour échanger, la deuxième pour structurer le shooting tel que je l’avais imaginé – ils ont tout validé –, la troisième pour la séance photo. Avec moi, tout va très vite : nous avons réalisé treize portraits en moins de quatre minutes, car je trouve que si ça dure trop longtemps, les gens perdent leur spontanéité. La dernière audience a servi à leur présenter les œuvres. Ils ont accepté de dévoiler ces portraits le 27 juin, le jour de mon anniversaire, juste après les festivités des 25 ans de règne, et également dans le livre que j’ai réalisé pour Porsche le lendemain.
J’ai eu la chance de photographier le couple dans le salon d’honneur du palais grand-ducal, alors que leurs portraits officiels avaient été faits dans les couloirs. Bénéficier d’un espace aussi prestigieux a été une expérience extraordinaire.

En parallèle de vos œuvres personnelles, vous réalisez de nombreuses commandes, ce qui contribue aussi à votre notoriété.

J’aime créer, j’aime m’amuser, dessiner. Que je réalise un tee-shirt ou une sculpture, pour moi, l’exercice est le même : une création reste une création, la démarche intellectuelle ne change pas. On m’a proposé un jour de créer un business avec des curateurs d’art, en montrant mes œuvres dans tel ou tel musée. Mais je crois que l’art doit rester une évidence. Si mon travail plaît, tant mieux ; sinon, tant pis. L’art doit parler au cœur.
Je ne choisis pas mon public : 60 % de mes tableaux partent aux États-Unis ou à l’international, ce n’est pas un calcul. Je veux créer des œuvres qui puissent être comprises et ressenties sans explication.

Art Galerie Jacques Schneider, 32 rue Méckenheck, 3321 Berchem ; du 25 au 20 décembre 2025