Cheveux afros : vers une acceptation sans condition

Mis à jour le 19 août 2024 par Delali Amegah
Cheveux afros : vers une acceptation sans conditionDjanira Silva © Lee Dos Reis

Pourquoi est-ce que les cheveux naturels afros sont-ils encore un sujet sensible en 2024 ? En mars dernier, la récente proposition de loi portée par le député Olivier Serva contre la discrimination capillaire en France, largement adoptée par l'Assemblée, a provoqué un large éventail de réactions. Ce texte de loi souligne l'importance et l’aspect sensible du débat persistant des cheveux afros au sein des communautés afro-diasporiques.

Contexte Sociétal 

Sur les réseaux sociaux, le débat a été vif, certains critiquant la loi comme étant moins prioritaire face à d'autres enjeux sociétaux majeurs. Cependant, ces critiques illustrent souvent une méconnaissance des micro-agressions fréquemment subies par les femmes afrodescendantes, en particulier celles ayant grandi dans des milieux majoritairement blancs. Ces interactions négatives contribuent à des années de trauma psychologique et racial, exacerbant la stigmatisation des cheveux naturels afros. Douce Dibondo, dans son essai « La Charge Raciale : Vertige d’un Silence Écrasant », discute de cette charge raciale, un fardeau psychologique lourd pour beaucoup et qui inclut aussi les cheveux afros. 

Histoire, médias et représentation

Les médias jouent un rôle crucial dans la définition des normes de beauté, historiquement dominées par l'image de femmes blanches aux cheveux longs et lisses. Cependant, avec l'émergence de mannequins et d'influenceuses afrodescendantes qui revendiquent leurs cheveux naturels, nous assistons à une évolution des perceptions. Parallèlement, de nombreuses artistes et influenceuses noires américaines et francophones choisissent souvent de porter des perruques et des extensions capillaires. Cette pratique soulève des questions complexes sur la visibilité et l'acceptation des cheveux naturels afro. Elle révèle un paradoxe dans la manière dont la beauté noire est représentée et perçue, oscillant entre l'adoption des codes de beauté dominants et la célébration de l'authenticité.

En dépit des défis, le mouvement “Nappy” a contribué à une représentation plus inclusive et diversifiée, encourageant une acceptation plus large des différentes textures de cheveux au sein des communautés afrodescendantes et au-delà. Rachel Kwarteng, réalisatrice française d’origine ghanéenne, a récemment lancé un documentaire en cinq épisodes intitulé « Cheveux afro », disponible depuis le 24 avril 2024 sur TV5 MondePlus dans lequel plus d’une dizaine de femmes, issues d'horizons variés, partage ses réflexions sur l'histoire complexe des cheveux, tant sur le plan esthétique que social et politique.

Rachel partage ses motivations pour ce projet essentiel : « En réalisant ce documentaire sur les cheveux afros, j'ai pris conscience de l'ampleur de la problématique que rencontrent les femmes noires qui, pendant des années, ont dû faire face au rejet de leurs cheveux naturels. Ce sujet dépasse la simple question capillaire ; il touche à des enjeux bien plus profonds. À travers ma série-documentaire, je voulais mettre en lumière que chaque choix, même capillaire, est chargé d'histoire et de conséquences. Cela m'a semblé crucial de montrer comment des actes apparemment simples peuvent être empreints de significations historiques et sociales ».

Les cheveux crépus sont un art ; leur diversité et les coiffures qu’on peut faire avec sont magnifiques.

Quelle est la situation des femmes aux cheveux afros au Luxembourg ?

Au Luxembourg, la communauté afrodescendante rencontre également des défis similaires. Marlee Dos Reis, photographe et présidente de l’association IMANI ORGANISATION, évoque son enfance dans un village où ses cheveux la distinguaient : « J’ai grandi avec une perception négative de mes cheveux afros, surtout à l’école primaire, parce que j’étais différente. Pourquoi n’avais-je pas des cheveux lisses ? » Plus tard, elle a lissé ses cheveux pour un entretien d’embauche afin d'éviter d'être perçue comme une « strong Black woman », un terme stigmatisant souvent utilisé contre les femmes noires. Cependant, c’est en portant des tresses, puis ses cheveux naturels, qu’elle a trouvé l'acceptation de soi.

Marlee Dos Reis est également reconnue pour sa création de contenu et d’événements qui valorisent la représentation de la beauté féminine à travers sa photographie : « Mes photos montrent que les femmes peuvent être fortes ET vulnérables. Leurs cheveux afros ne sont pas juste un style, mais une expression profonde de leur identité et de leur patrimoine culturel. En capturant leur beauté naturelle, je cherche à valoriser ces caractéristiques et à contribuer à une représentation positive et authentique de la diversité féminine, raciale et culturelle du pays et de la société luxembourgeoise en général.

Djanira Silva, étudiante à Bruxelles et suivie par plus de 310k abonnés sur TikTok et Instagram, partage ses conseils capillaires sur les réseaux sociaux, encourageant les jeunes filles noires à accepter leur beauté naturelle. Son parcours capillaire n’a pas toujours été positif : « Plus jeune, j’étais persuadée que mes cheveux étaient tout simplement laids, difficiles à gérer, et qu’ils ne pourraient jamais atteindre une longueur satisfaisante. À tel point que j’ai supplié ma mère de me faire un défrisage à l’âge de 13 ans (je l’ai regretté) car je n’en pouvais plus. Dans mon environnement, porter ses cheveux afro était perçu comme négligé. Ce n’est qu’à mes 16 ans que j’ai osé sortir pour la première fois avec un afro (avec une énorme boule au ventre)! Au travail, je me suis souvent retrouvée à plaquer mes cheveux avec des tonnes de gel suivies d’un chignon discret afin d’éviter toute remarque désagréable ou de me retrouver désavantagée en raison de mes cheveux. »

Après avoir posté des vidéos sur sa routine capillaire sur TikTok, Djanira a constaté une forte demande de conseils pour soigner des cheveux crépus. Réalisant que de nombreuses jeunes femmes noires partageaient ses défis capillaires, elle s'est engagée à partager ses astuces pour simplifier l'entretien des cheveux afros, montrant que cela peut être plus facile qu'il n'y paraît. « Les cheveux crépus sont un art ; leur diversité et les coiffures qu’on peut faire avec sont magnifiques. »

Les deux femmes constatent des progrès au Luxembourg, notamment une meilleure acceptation des cheveux naturels dans la vie courante et une disponibilité croissante de produits adaptés. Elles soulignent l’importance de la représentation et de la déconstruction des préjugés pour toutes les formes de cheveux afros, promouvant un futur où chaque texture et chaque longueur sont célébrées.

Vers une nouvelle perception

Les femmes noires ont longtemps dû naviguer entre l'assimilation et la créativité pour définir leur propre standard de beauté. Malgré les racines coloniales et les préjugés raciaux persistants affectant la perception des cheveux afros, un changement progressif s'observe et plus particulièrement depuis le mouvement Nappy qui s’est formé aux États-Unis et à ensuite fait son chemin dans les communautés afrodescendantes francophones et européennes. Il est crucial d'aborder ces sujets avec honnêteté et de reconnaître les avancées tout en continuant à lutter contre le texturisme et le colorisme. L'intégration de la coiffure afro dans les formations en coiffure est cruciale pour normaliser et valoriser ces compétences. L'influence grandissante des spécialistes et influenceuses aux cheveux afros francophones sur les réseaux sociaux enrichit cette dynamique, favorisant diversité et inclusion dans l'industrie de la beauté.

Le débat constant sur le cheveu afro, bien que nuancé, doit rester ancré dans les faits historiques et les expériences à la fois communes et diverses des femmes aux cheveux afros, pour véritablement transformer les normes de beauté et assurer que les générations futures de filles afrodescendantes grandissent en se voyant belles, telles qu'elles sont naturellement.

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