Posée comme une question banale sur les réseaux, “C’est quoi ton body count ?” est devenue l’arme favorite d’un puritanisme 2.0. Sous couvert de curiosité, c’est toujours le même refrain : plus une femme a eu de partenaires, moins elle a de valeur.

Le body count, littéralement le « décompte de corps », désignait autrefois le nombre de morts sur un champ de bataille durant la Seconde Guerre Mondiale ou la Guerre du Vietnam, puis lors de catastrophes naturelles. Puis son sens a doucement glissé pour s’appliquer à la sexualité des femmes, comme si chaque partenaire venait cocher une case sur leur corps, jusqu’à le rendre suspect, voire carrément inutilisable. Bref, une sorte de statistique sexuelle qui permettrait d’évaluer notre « pureté » supposée.

Passé sexuel ou casier judiciaire ?

Sur les réseaux, on prétend que c’est « juste une question comme une autre », que chacun.e est libre d’en parler. En réalité, le double standard est omniprésent. Un homme semble encore pouvoir avoir autant de conquêtes qu’il le souhaite. À l’inverse, plus une femme a eu de partenaires, plus elle est dépréciée. Le corps masculin s’éprouve, le corps féminin se surveille.

Le body count n’est donc seulement une statistique, il est un indicateur de valeur. Comme si la femme se dévaluait au fur et à mesure de ses expériences. Moins « fréquentable », moins « digne d’une relation stable », moins « capable d’aimer ». C’est ce qu’on entend, en creux, derrière les vidéos d’influenceurs masculinistes qui agitent TikTok. L’idéologie ultra dangereuse derrière ? Une réhabilitation du vieux fantasme de la femme-objet à usage unique.

@lucofilms

Une vieille rengaine

Rien de très neuf, en réalité. La suspicion jetée sur les femmes « trop libres » traverse l’histoire. Mais ce qui change, c’est le canal : les plateformes comme TikTok ou Instagram, dopées à l’algorithme et colonisées par une génération en quête de repères, deviennent le terreau parfait de ces discours réactionnaires.

Le body count version 2025, c’est un puritanisme camouflé en divertissement. Et ce sont toujours les mêmes qui trinquent : les femmes. Elles qui doivent jongler entre l’injonction à être désirables, disponibles, performantes, mais pas trop. Légères, mais respectables. Libérées, mais discrètes.

@viewsfromsix8

La biologie comme argument

Dans cette chasse aux partenaires, certains vont jusqu’à invoquer la biologie. Selon une fausse croyance largement répandue, une femme ayant eu de nombreux rapports libérerait moins d’ocytocine – l’hormone de l’attachement – et serait donc incapable d’aimer ou de s’attacher. Une absurdité scientifique totale, mais relayée par des comptes cumulant des millions de vues.

À ce titre, le body count dit surtout beaucoup sur l’absence criante d’éducation à la sexualité et à l’égalité dès le plus jeune âge. Ce qui laisse le champ libre aux influenceurs mal informés mais très écoutés. Résultat ? Des ados qui apprennent davantage sur la sexualité via TikTok que sur les bancs de l’école. Un drame pour la notion de consentement et d’empathie.

Certaines femmes, fort heureusement, retournent l’arme contre ses inventeurs. En ligne, des répliques fusent : « Ce n’est pas mon body count que tu devrais connaître, c’est le nombre de fois où j’ai joui ». Une manière de déplacer la focale, et de remettre le plaisir au centre.

Finalement, le body count n’est qu’une des nombreuses facettes d’un backlash beaucoup plus vaste, où la liberté des femmes dérange encore. Le combat féministe, loin d’être dépassé, doit aujourd’hui se rejouer sur des terrains insidieux, là où la domination se déguise en blague de fin de soirée ou en question « innocente ». Pourtant non, le body count n’est pas un jeu, c’est un vieux monde qui résiste.

@emi__b__

À lire également

Pourquoi appelle-t-on le 24 juin la « Journée des miracles » ?

G, P, A, C, T… : connaissez-vous les différents points de plaisir ?

Les marques cosmétiques ignorent-elles les femmes de plus de 50 ans ?