03Ce que l’on considère comme « désirable » ou «attirant » est souvent façonné par des injonctions sociales – entre racisme, sexisme et grossophobie. Dans son livre The Second Coming, la journaliste américaine Carter Sherman lève le voile sur la « fuckability ».
La « récession sexuelle » est sur toutes les lèvres. Selon plusieurs études, la génération Z ferait moins l’amour. Cette baisse de l’activité sexuelle se traduit par un recul de l’âge de la première fois – aujourd’hui, il est de 18,2 ans pour les femmes et de 17,7 ans pour les hommes, selon l’enquête « Contexte des Sexualités en France » de l’Inserm, publiée en novembre 2024 – tandis qu’un quart des jeunes adultes n’a jamais eu de rapport sexuel. On observe aussi un désintérêt de la masturbation.
Ce phénomène générationnel est en partie lié à l’anxiété et l’isolement, significatifs chez les jeunes notamment depuis la crise du Covid-19, mais également à leur manque de confiance pour se lancer dans la vie sexuelle. La « fuckability » en est l’un des facteurs.
Comment les « logiques politiques façonnent ce que nous jugeons attirant » ?
Dans son livre The Second Coming, la journaliste américaine Carter Sherman, spécialiste des questions de genre au Guardian, emploie le mot « fuckability » pour mettre en lumière la pression qui pèse sur les corps des femmes, des hommes, et des minorités sexuelles en termes de désirabilité. Ce que l’on pourrait aussi traduire, de façon plus familière par « baisabilité », est le reflet de tout un panel d’injonctions sociales. Dans une interview accordée au « Point », vendredi 22 août, l’autrice explique en quoi cette notion est au cœur de la vie intime des zoomers.
« Je dois ce terme à la philosophe Amia Srinivasan, qui le définit comme “la désirabilité telle qu’elle est construite par nos politiques sexuelles”, rapporte-t-elle. Autrement dit, c’est une façon condensée de dire comment des logiques politiques (racisme, sexisme, grossophobie, etc.) façonnent ce que nous jugeons attirant. Au fond, il est impossible de savoir si l’on est attiré (ou repoussé) par certaines caractéristiques parce qu’on les aime vraiment, ou parce qu’on a été socialisé à les aimer ou à les rejeter. »
Désirabilité : le poids des réseaux sociaux
Or, la « fuckability » n’a jamais été aussi prégnante, à l’ère du numérique. « Les réseaux sociaux et les applis de rencontre mettent en lumière la hiérarchie de la désirabilité. Avec les flux incessants de likes, de commentaires, d’abonnés et de matchs, la génération Z est constamment renvoyée à la place qu’elle occupe dans cette hiérarchie », poursuit Carter Sherman.
« Pour beaucoup de jeunes, le sexe devient un nouvel espace où l’on se sent évalué et jugé »
Elle ajoute : « Cela peut engendrer une profonde anxiété et un désintérêt pour le sexe. Car si vous êtes persuadé de ne pas être “parfait” – et que vous pensez qu’il faut l’être pour se dénuder –, vous n’aurez guère envie de passer à l’acte. Pour beaucoup de jeunes, le sexe devient ainsi un nouvel espace où l’on se sent évalué et jugé. »
Pour bon nombre de jeunes femmes, interrogées par la journaliste dans le cadre de son enquête, les plateformes occupent une place de choix dans l’exposition du corps, afin d’être validées par les hommes. Parce qu’au fond, la « fuckability » est définie par le regard masculin.
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