Ménopause : Le dernier des tabous féminins ?

Mis à jour le 13 janvier 2025 par Salomé Jeko
Ménopause : Le dernier des tabous féminins ?© Unsplash

Si les règles, l’endométriose ou l’infertilité sont des sujets qui font régulièrement parler, la ménopause semble être le dernier des tabous féminins. Pourtant, elle concerne toutes les femmes et n’est pas sans conséquence sur leur vie et leur santé. Le point avec des gynécologues et médecins du Luxembourg.

« J’ai commencé à noter quelques changements en moi, une forte émotivité, un vague à l’âme que je n’avais jamais avant, des insomnies pendant mon ovulation et de moins en moins de patience… raconte Aurélie, 47 ans. À mon âge, j’ai pensé aux prémices de la ménopause et j’ai cherché à m’informer ». La quadragénaire entend alors parler d’une conférence sur le sujet et décide de s’y rendre. Organisée par Health an Gesondheet Luxembourg (HAG Luxembourg Blue Zone), celle-ci donne la parole au Dr Hacer Akkuzu, médecin généraliste à Dudelange, spécialisée en microbiote, en santé et longévité, mais également au Dr Michel Mouly, gynécologue, chirurgien et cancérologue français, auteur du livre Ménopause, ne souffrez plus en silence ! ainsi qu’à Diane Elsen, coach certifiée spécialisée en ménopause (@womanhood.luxembourg sur Instagram). Dans l’assemblée, quelque 200 femmes en quête d’informations…

Comme Aurélie, nombreuses sont celles qui commencent à ressentir des changements physiques et émotionnels à l’approche de la cinquantaine. Bouffées de chaleur, grosse fatigue, sueurs nocturnes, prise de poids, brouillard cérébral, diabète, sautes d’humeur, douleurs articulaires, tensions dans les seins… La liste des symptômes associés à la ménopause est – très – longue et marque l’entrée de la femme dans une nouvelle étape de son existence, démarrant en moyenne entre 45 et 55 ans et s’étendant… jusqu’à la fin de sa vie.

La ménopause représente presque la moitié de la vie d'une femme

« La ménopause désigne l’absence de règles depuis plus d’un an. Elle est précédée de la périménopause qui se caractérise par la diminution de l’activité ovarienne et par l’apparition de premiers symptômes. Avec notre espérance de vie actuelle (N.D.L.R : 84.8 ans pour les femmes au Luxembourg), la ménopause représente presque la moitié de notre vie de femme. Il est donc inimaginable de mal la vivre », souligne Dr Crina Buicu, gynécologue-obstétricienne aux Hôpitaux Robert Schuman.
Parce qu’elle est elle-même passée par là, la médecin a souhaité créer, au sein de l’hôpital, le Centre de la ménopause et de l’andropause, ouvert juste après le COVID-19.

« La ménopause n’est pas méconnue, mais elle est encore trop tabou. Sous prétexte qu’on y passe toutes, on se dit que tous ses symptômes sont normaux et qu’on doit les subir. Mais ce n’est plus possible : les femmes se sont émancipées, elles ont pris la parole, elles doivent travailler le plus longtemps possible et ont enfin pris conscience que c’était quand même mieux de pouvoir le faire dans de bonnes conditions. Elles n’ont pas à subir les effets d’un état qui, oui, est physiologique, mais qui, non, n’est pas agréable. Les femmes doivent rester en forme pour leur carrière, leur famille, leur vie personnelle : elles doivent pouvoir garder leur féminité et leur estime de soi. » En outre, selon l’Inserm 87% des femmes présentent au moins un symptôme de ménopause en plus de l’arrêt des règles et 20 à 25% souffrent de troubles sévères qui affectent leur qualité de vie.

Des conséquences sur le travail et la santé

Une réalité qui n’est pas sans conséquence sur la vie professionnelle – 60% de productivité en moins pour les femmes présentant des symptômes d’après Forbes (2019) -, à un âge où celles-ci pourraient pourtant prétendre à des postes plus importants. Encore une fois, il semble que le credo « ne rien dire et subir » prévaut. Crainte d’être stigmatisées ? Moquées ? Considérées comme « périmées » ? Rares sont ainsi celles qui osent évoquer le sujet de la ménopause au bureau : en France, 70% des femmes ne souhaitent pas évoquer les troubles liés à la ménopause à leur supérieur, et seul 25% en ont déjà parlé avec des collègues. Or oser l’évoquer, et surtout la prendre en charge, revient à prendre soin de sa santé. Car l’arrêt de l’activité ovarienne entraine la diminution du taux d’oestrogènes dans l’organisme et par conséquent la diminution des bénéfices physiologiques qu’apportent ces hormones sur le plan cardiovasculaire, osseux ou cognitif.

« Si elle n’est pas traitée, la ménopause peut provoquer une hausse du cholestérol, donc des maladies cardiovasculaires. Mais aussi de l’ostéoporose, car la femme va perdre de la masse osseuse puisqu’elle ne fixe plus le calcium ou le perd, ou les deux. Il y a ensuite toutes les maladies qui sont liées aux fibres de collagène, comme l’arthrose avec ses conséquences sur les articulations, ou les troubles urogénitaux qui conduisent à des cystites à répétition et rendent les rapports sexuels douloureux - en plus de la perte de libido liée là encore aux bouleversements hormonaux. La ménopause non traitée peut aussi accélérer l’installation de la démence sénile et/ou la maladie d’Alzheimer et provoquer des problèmes au niveau de la vision et de l’audition », détaille Dr Buicu.

Une prise en charge multidisciplinaire

En proposant une unité de lieu de prise en charge multidisciplinaire de la femme ménopausée - et de l’homme andropausé -, la gynécologue entend aider les femmes à se préparer et à traverser au mieux cette nouvelle étape de leur vie, en s’entourant notamment de kinésithérapeutes, psychologues, sexologues, nutritionnistes, coachs sportifs et acupuncteurs. La prise en charge démarre avec une anamnèse générale, un questionnaire de qualité de vie à remplir (Échelle de Greene) et un bilan sanguin à réaliser. Si le premier entretien a lieu avec une infirmière du centre, les analyses et le dossier sont ensuite revus par Dr Buicu, qui transmet ensuite ses recommandations et d’éventuelles ordonnances - en concertation avec l’infirmière - à la patiente. Celle-ci pourra alors être orientée vers l’équipe multidisciplinaire en fonction de ses besoins.

Les femmes n'ont pas à subir les effets d'un état qui, oui, est physiologique, mais qui, non, n'est pas agréable, Dr Crina Buicu, gynécologue aux Hôpitaux Robert Schuman

« L’objectif est vraiment d’améliorer leur qualité de vie en étant à leur écoute et en leur proposant un accompagnement multidisciplinaire et sur-mesure. En 2023, on s’est occupé d’une cinquantaine de femmes et cette année, on est déjà au double, constate Alexandra Bujas, responsable des services Policlinique et Hôpital de jour, Pôle Femme, mère, enfant, Hôpitaux Robert Schuman. Quelques mois après la visite, on les rappelle pour faire le point. Pour l’instant, le bilan est très positif. On sait par exemple que l’acupuncture marche très bien sur les bouffées de chaleur. Mais ce qui est certain, c’est qu’une alimentation allégée et la pratique d’un sport sont primordiales durant cette période».

Alimentation, sport… et hormones de substitution ?

Un constat partagé par la Dr Juliette Fievez, gynécologue et responsable de la clinique de la ménopause du CHL. Ouverte en 2017, celle-ci ne propose pas de suivi à proprement parler, mais accompagne les femmes dans ce virage en coordonnant les rendez-vous nécessaires afin de dresser un bilan global en un minimum de passage à l’hôpital. Le but ? Situer rapidement la femme dans son évolution vers la ménopause et lui proposer un traitement approprié.

« Nous avons énormément de demandes ce qui fait que les délais sont malheureusement longs. Les femmes qui viennent nous voir se plaignent en majorité de bouffées de chaleur, de problèmes de sommeil et surtout de leur prise de poids. Il est vrai que le corps d’une femme ménopausée n’est plus le même : une solution est de se mettre au sport, au moins 2h par semaine, en misant sur le cardio. C’est essentiel pour la protection cardio-vasculaire, la prévention du diabète et des cancers », assure la spécialiste. Pour sensibiliser les femmes et faire de la prévention, le CHL a pour la première fois initié cette année une série d’ateliers thématiques à ses patientes. « Le sport, la diététique et la vie sexuelle après la ménopause sont les prochains à être programmés », annonce Dr Fievez.

Le corps d'une femme ménopausée change. La solution : le sport, au moins 2h par semaine, en misant sur le cardio, Dr Juliette Fievez, Gynécologue au CHL

Reste encore une solution pour tempérer les symptômes invalidants de la ménopause : le fameux et longtemps décrié traitement hormonal substitutif (THS). Son principe ? Remplacer les hormones dont la production naturelle a cessé par des hormones naturelles ou de synthèse, sous différentes formes (comprimés oraux, vaginaux, patch, gel ou spray) et selon un dosage adapté à chaque femme. « À l’époque de ma mère, j’en avais entendu que du mal : ça fait grossir, ça provoque le cancer… Je ne l’envisageais pas du tout parmi les solutions possibles », confie Aurélie qui a pourtant récemment accepté un traitement hormonal microdosé pour calmer les premiers maux de sa périménopause. Un choix sûr si l’on en croit les spécialistes, à condition de ne présenter aucune contre-indication – antécédent de cancer du sein, entre autres.

« Le THS a été critiqué suite à l’étude américaine Women’s Health Initiative (WHI), publiée en 2002. Elle a révélé une augmentation du risque d’infarctus, de cancer du sein et de thrombose chez des patientes sous traitement. Depuis, il a été retiré du marché et il existe désormais des hormones qui n’augmentent pas plus le risque de cancer du sein et qui sont même favorables pour la prévention d’une thrombose. Des recommandations internationales attestent d’ailleurs de l’efficacité du THS pour la qualité de vie et pour réduire le risque de tous ces symptômes et de toutes ces maladies concomitantes », explique Dr Buicu des Hôpitaux Robert Schuman. Et Dr Fievez, du CHL, de confirmer : « Il faut absolument gommer cette mauvaise image des hormones, la médecine a énormément évolué depuis les années 2000 et les premières études sur les traitements hormonaux. Je sens toujours une réticence chez certaines patientes, mais une fois qu’on en parle ouvertement et qu’on leur donne des explications, elles veulent bien en entendre parler ».

Un message préventif que le Dr Hacer Akkuzu, médecin généraliste, tend elle aussi à faire passer auprès de sa patientèle, majoritairement féminine, dans son cabinet de Dudelange. « La ménopause est un vrai péril sanitaire et ne doit plus être ignorée ou sous-estimée… Je lance ici l’alerte. Il faut informer le plus tôt possible et prendre en charge les femmes avant même la ménopause. Cela ne relève pas uniquement des gynécologues - dont 2/3 partiront à la retraite dans les 10 prochaines années -, mais aussi des médecins généralistes et demain peut-être des sages-femmes. Informons, sensibilisons, mais agissons pour la santé des femmes, afin que la notion de prévention prenne tout son sens ».

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