Rien ne prédestinait Annick Niedner à ouvrir un lodge à Zanzibar. Avocate de formation, professeure de langues, mère de trois enfants, dotée d’un esprit cosmopolite, ayant vécu entre Bruxelles, la France et le Luxembourg, elle menait une vie bien remplie, bien rangée, bien européenne. Lisse ou presque. Et pourtant…
C’est sur une île semi-sauvage de l’océan Indien qu’elle a réinventé sa vie. Mieux : Annick en a fait un style de vie résolument inspirant. « J’avais toujours eu envie de bouger, mais ma vie avait pris une autre orientation… ». 2020 sera l’année du virage : une séparation, la fin de la scolarité des enfants et, surtout, une pandémie mondiale. Une liberté retrouvée au moment où on ferme les frontières. « Un volontariat en 2019 m’avait fait connaître Zanzibar et je savais qu’en 2021 la Tanzanie était ouverte et qu’il y avait moyen d’y aller, discrètement ». Ce qui devait être une parenthèse devient un point de bascule ; le début d’une métamorphose.
©Kamelon Blue
Changer de cap sans boussole
En mars 2021, Annick décide de prolonger son séjour malgré le début de la saison des pluies. Lorsqu’un jour, elle prend le bus pour descendre à Kizimkazi, la pointe sud de l’île, les dés sont jetés. Dans le seul lodge encore ouvert, elle rencontre Benjamin avec son envie de refaire le monde et son projet d’acheter un lopin de terre, petit, pas cher, juste quelques chambres pour lui et des amis. « J’ai vite compris que rien n’arrive par hasard ». Le projet de Benjamin vient de tomber à l’eau : son amie de longue date le lâche au moment même où il rencontre Annick. À l’instant où elle s’apprête à quitter le lodge, une voix intérieure résonne : « Et si j’achetais ce terrain avec lui ? ». Une petite terre dans la brousse à quelques minutes d’une crique. Puis une deuxième, une troisième et même une quatrième, toutes avoisinantes, suivront dans la foulée. « On achète avec légèreté, l’aventure commence, c’est l’immersion dans l’inconnu et la confrontation avec les réalités du terrain ».
Un lodge authentique aux couleurs du Pacifique
De cette impulsion naît le Kameleon Blue, un nom pas si innocent. « On voulait un nom qui change des clichés et qui comprenne un animal. Le caméléon incarne l’adaptation et la créativité. Le bleu, c’est la mer, la piscine, le ciel ». Depuis, le lieu s’est mué en repaire de voyageurs curieux, de musiciens, d’âmes nomades. On ne vient pas seulement dormir au Kameleon Blue, on vient vivre une expérience, hors du temps et des sentiers battus.
J’ai voulu créer un lieu qui encourage les échanges
Installé entre jungle luxuriante et rivage de corail, le Kameleon Blue se distingue par sa simplicité travaillée et son design non-conventionnel. Pas de tape-à-l’œil mais une attention méticuleuse aux détails : grandes tables communes pour favoriser les rencontres, bar chaleureux, programmation musicale régulière, à l’instar des soirées Blue Monday, où musiciens locaux et voyageurs improvisent des jam sessions mémorables. « J’ai voulu créer un lieu qui encourage les échanges, pas un hôtel où chacun reste dans son coin ». Véritable tour de Babel à l’autre bout du monde, le Kameleon Blue attire des hôtes issus de tous les horizons. Qu’ils dorment en backpack ou en villa design, ils partagent un esprit : celui du voyage transformateur. La carte du restaurant, elle aussi, reflète cette philosophie : végétarienne, marine, locale, inspirée des goûts d’Annick, des saisons, des gens qui passent. Et toujours ouverte : « un peu comme à la maison… ».
Réorienter la pratique pour atteindre la réussite
Ouvrir un lodge en Afrique de l’Est sans y avoir jamais mis les pieds ? C’est possible, « mais bien loin d’être un long fleuve tranquille ! » L’électricité ? Une épopée solaire. Les voisins bruyants ? Un marathon diplomatique. Le système bancaire ? Un casse-tête kafkaïen. Des nuits blanches de stress, des heures passées au commissariat de police local pour tapage nocturne ou pour faire taire le coq très matinal du voisin. À Zanzibar, les solutions aux problèmes ne s’achètent pas, elles s’inventent. Cassé on répare, objet introuvable on cherche un substitut. Annick cite volontiers Joe Dispenza : « Si tu veux changer ton futur, ne construis pas ton présent à partir de ton passé ». C’est exactement ce qu’elle a fait sans calcul, sans plan. Zanzibar marque une césure qui modifie la trajectoire.
Trouver sa place sans s’excuser d’exister
J’ai appris à persévérer contre vents et marées
Annick le reconnaît : elle a dû apprendre sur le tas. Diriger un chantier, recruter une équipe, installer un système solaire, gérer des clients, s’orienter dans les méandres de l’administration. « Inconsciente de mes choix initiaux j’ai appris à persévérer contre vents et marées. C’était la galère mais le bateau n’a pas coulé. Suivre son intuition sans changer de cap ». Elle dirige sans hausser la voix, avec détermination. « Être ferme et juste. Naviguer à vue avec des codes culturels qui ne s’apprennent pas dans les livres ». Son équipe, presque entièrement locale, travaille dans une logique de respect et d’échange. Elle valorise les talents, prend le temps de former. « On ne peut pas débarquer dans un village et tout imposer. On fait avec. Et surtout, on fait ensemble ».
Faire avec les moyens du bord
Kizimkazi est un voyage dans le temps, presque magique avec ses barques de pêcheurs traditionnels, son char tiré par les bœufs et sa vie de village animée où les habitants se réunissent à l’extérieur pour voir le match devant l’unique télé… enfin quand il n’y a pas de coupure d’électricité. « On a compris, un peu tard, qu’il fallait tout repenser. On croyait pouvoir fonctionner avec l’énergie du village. Ça tient pour une cabane équipée de chandelles, mais pas pour un hôtel avec restaurant. Embarqués dans l’aventure, sans eau, ni frigo, lumière, musique, Internet et avec des clients qui avaient payé pour un confort élémentaire ». Ce ne sera que fin 2023, après avoir usé une panoplie de stabilisateurs et de générateurs qui n’ont pas tenu le choc et ont peu arrangé la situation que le lodge se mettra à l’énergie solaire, acheminée et non sans difficultés, du Kenya avec des droits de douane conséquents.
Clean Kizimkazi ou la prise de conscience collective
Fin 2022, de retour à Kizimkazi, elle découvre un village qui s’est métamorphosé en deux mois, l’accumulation des déchets est flagrante. Elle ne peut que réagir : « Moi, j’avais encore la force de croire que c’était possible et la motivation du nouvel arrivant ». En une semaine, elle a initié un nettoyage complet de Kizimkazi, épaulée par une cinquantaine de volontaires tanzaniens et des gens du village. De nombreux autres hôtels ont rejoint l’action et le projet Clean Kizimkazi est né pour organiser le tri et le ramassage des déchets.
Une histoire de liberté
À présent, Annick vit entre Zanzibar, le Luxembourg, Bruxelles et l’Asie. Elle n’a pas de QG, mais un centre vers lequel elle revient toujours : ce lieu et ce qu’il incarne. « Ce que je veux, ce n’est pas faire plus. C’est faire juste ». Au-delà du projet entrepreneurial, ce que raconte Annick, au fond, c’est une histoire de liberté. Celle qu’on décide. Celle pour laquelle on vit. À 50 ans, quand d’autres rêvent de stabilité, elle fait le pari du mouvement. « Je ne voulais plus de validation extérieure. Je voulais de l’alignement intérieur ». Comprendre les codes, s’adapter mais rester soi. Et surtout, ne pas chercher à plaire à tout prix. « J’ai appris à faire seule, à faire confiance, et à ne plus me juger ».
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