Lauréat du Prix Femina 2025, La Nuit au cœur de Natacha Appanah est un récit sobre et bouleversant.
Voici un roman vibrant dont on ne sort pas indemne ; deux cent quatre-vingt-quatre pages sidérantes et d’une vérité implacable. Dans La Nuit au cœur, l’autrice mauricienne Natacha Appanah entrelace trois destins : celui de Chahinez Daoud, brûlée vive par son mari à Mérignac en 2021, celui d’Emma, sa cousine tuée vingt ans plus tôt par son conjoint à l’île Maurice, et le sien, marqué par une relation d’emprise, dont elle a réussi à sortir vivante. Trois femmes, trois échappées vers la liberté : deux sont mortes, une continue à écrire. De cette matière tragique, Natacha Appanah fait le lien entre ces deux féminicides et l’emprise qu’elle a elle-même endurée. Comment trouver un sens à ces destins à la fois distincts et convergents ? Comment approcher les vies détruites de Chahinez et d’Emma sans les réduire à des faits divers, ou à de simples noms dans une rubrique judiciaire ? En retraçant leur parcours, l’autrice éclaire le sien, tout en cherchant à comprendre les mécaniques de la violence, de l’emprise et de la peur. Un récit tendu dans lequel l’autrice nous entraîne.
Écrire, lieu de lucidité et de résistance
L’écriture sobre, sans emphase, refuse les effets de style pour approcher la vérité des faits. À mesure que progresse cette enquête intime, ce roman devient un lieu de résistance et de réflexion. Natacha Appanah s’en explique : de ces nuits et de ces vies, de ces femmes qui courent « Il a fallu faire quelque chose. Les écrire, les regarder en face, les peser chacun leur tour et aussi ensemble (…) Il a fallu rêver cet éternel rêve d’un nous et d’un récit commun, ce nous composé de trois femmes, se plonger dans « la quête désespérée d’une justesse au plus près de la vie, de la nuit, du cœur, du corps, de l’esprit ».
C’est un livre qui fait penser, vraiment ; et qui fait penser différemment. Natacha Appanah ne se contente pas de raconter, elle interroge au plus profond des êtres. Les documents qu’elle consulte sont accablants : ces deux femmes savaient qu’elles allaient mourir, elles étaient prévenues par une sorte de subconscient d’évidence, qui leur faisait anticiper leur propre destin. Chahinez Daoud, notamment, avait porté plainte à plusieurs reprises. Son interrogatoire fut mené par un policier lui-même condamné pour violences conjugales, qui négligea la procédure.
Ce récit s’est nourri de recherches entamées en 2021 et d’une écriture lente, hésitante, longue de près de quatre ans qui a pris forme en 2024. Une écriture faite de silences et de doutes. À la fin, une certitude demeure : la littérature, si elle ne répare pas complètement, parvient à créer des liens. L’autrice a choisi d’écrire “comme si c’était la seule issue, le seul chemin éclairé qui s’offrait à moi (…) j’ai raconté toutes ces histoires avec tous ces mots jusqu’ici. Jusqu’à maintenant”. Par la force de son écriture et la justesse de son regard, La Nuit au cœur éclaire la violence faite aux femmes et transforme la douleur en réflexion. Dans cette nuit au cœur des existences, la voix de l’autrice qui s’élève est radicale et nécessaire.
Nathacha Appanah, La Nuit au cœur, Gallimard, 288 p, 21 €
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